Page:La Vie littéraire, I.djvu/197

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dante. » À certaines heures, elle a l’obscure et terrible conscience du mal qu’elle couve. Dès le printemps de 1876, elle se sent touchée. « Tout à l’heure, écrit-elle à la date du 3 juin, en sortant de mon cabinet de toilette, je me suis superstitieusement effrayée. J’ai vu à côté de moi une femme vêtue d’une longue robe blanche, une lumière à la main, et regardant, la tête un peu inclinée et plaintive, comme ces fantômes des légendes allemandes. Rassurez-vous, ce n’était que moi réfléchie dans une glace. Oh ! j’ai peur qu’un mal physique ne procède de toutes ces tortures morales. »

En 1877, une passion unique s’empara de cette âme en peine : Marie Bashkirtseff se consacra tout entière à la peinture. Elle rassembla enfin les trésors épars de son intelligence. Tous ses rêves de gloire se fondirent en un seul et elle ne vécut plus que pour devenir une grande artiste. Elle étudia avec ardeur dans l’académie de Julian, dont elle devint bientôt une des meilleures élèves. Ce fut, si j’ose dire, une de ces conversions subites dont les vies de saints offrent tant d’exemples et qui révèlent une nature sincère, excessive, instable. Dès lors, les princes ne lui furent plus rien. Elle devint républicaine, socialiste et même un peu révolutionnaire. Elle ne mit plus d’amazones de chez Laferrière et porta gaiement le sarreau noir des femmes artistes. Elle découvrit la beauté des misérables. C’était une créature nouvelle. Au bout de six mois, elle tenait la tête de la classe avec