Page:La Vie littéraire, I.djvu/227

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Armand Carrel était, en 1820, un des plus intelligents et des plus capricieux élèves de Saint-Cyr. Sa fougue et son élégance annonçaient un bon officier. Mais il était peu docile ; il étalait, en outre, avec une généreuse imprudence, son admiration pour les soldats de la République et de l’Empire. Le commandant de l’École était alors le général comte d’Albignac de Castelnau, brave militaire qui, oubliant ses services honorables dans la Grande-Armée, se souvenait seulement d’avoir émigré en 1791. Il affectait de regarder le libéralisme comme une bassesse indigne d’un officier.

— Pensant comme vous faites, dit-il un jour au jeune ami des brigands de la Loire, vous feriez mieux de tenir l’aune dans le comptoir de votre père.

Carrel lui répondit :

— Mon général, si jamais je reprends l’aune de mon père, ce ne sera pas pour mesurer de la toile.

Trois ans plus tard, Carrel se battait en Espagne, contre l’armée de la Foi, dans la légion libérale étrangère, composée de Français et d’Italiens. Dans un engagement, le colonel commandant la légion, un Italien, crut voir que les Français commençaient à plier. Il se jeta au galop de leur côté et s’écria :

— Français, vous fuyez !…

Alors Carrel, s’élançant au-devant de son chef, lui dit d’une voix forte :

— Vous en avez menti !

L’année suivante, traduit devant un conseil de