Page:La Vie littéraire, I.djvu/247

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sembler par la pensée et d’évoquer encore une fois le génie qui animait les cordes muettes. Mais les membres dispersés du poète ne se réuniront plus ; la tête d’Orphée, échouée sur un rivage barbare, n’exhale plus qu’une mélodie confuse et plaintive.

» Et cependant quelle beauté respire dans ces ruines de la beauté ! Nulle part on ne sent mieux la puissance de l’art et du génie que devant ces débris d’où rien n’a pu effacer l’empreinte de la main qui s’y est posée autrefois pour leur donner la vie avec la forme. La forme a été brisée, mais la vie éclate encore dans ces restes épars. Sur cette création, à moitié rentrée dans le chaos d’où le génie l’avait fait sortir, plane encore le souffle qui l’avait autrefois suscitée ; il semble même par moments qu’on va la voir de nouveau surgir dans sa glorieuse intégrité. Mais bientôt on s’aperçoit combien l’imagination est impuissante à restaurer ces chefs-d’œuvre de l’art antique. Le regret de l’irréparable, l’attrait du problème insoluble ajoutent alors pour nous à la beauté de ces statues le seul charme qui leur ait manqué dans le temps de leur gloire, la poésie du mystère et de l’infini. Le sentiment qu’elles font naître tient à la fois de la tendresse et de l’admiration pour la beauté humaine, de l’enthousiasme pour le génie, du respect de l’antiquité, de la tristesse qui s’attache aux ruines, de la curiosité pour une énigme et de l’inquiétude d’un désir irréalisable[1]. »

  1. Phidias, p. 212-213.