Page:La Vie littéraire, I.djvu/312

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bien, sur l’étendue du génie des compatriotes de Cicéron ; j’en vois les limites. Rome eut des idées simples, fortes, peu nombreuses. Mais c’est par cela même qu’elle est une incomparable éducatrice. Depuis elle, l’humanité conçut des idées plus profondes ; le monde eut un frisson nouveau au contact des choses, il est vrai. Il est vrai aussi que, pour armer la jeunesse, rien ne vaut la force latine.

Voyez Hamlet, c’est tout un monde immense. Je doute qu’on ait jamais fait quelque chose de plus grand. Mais que voulez-vous qu’un écolier y prenne ? Comment saisira-t-il ces fantômes d’idées plus insaisissables que le fantôme errant sur l’esplanade d’Elseneur ? Comment se débrouillera-t-il dans le chaos de ces images, aussi incertaines que les nuées dont le jeune mélancolique montre à Polonius les formes changeantes ? Toute la littérature anglaise, si poétique et si profonde, offre de semblables complexités et une telle confusion. J’en dirai autant de la littérature allemande, pour toutes les parties qui n’ont été inspirées ni par Rome ni par la France. Je relisais hier le Faust de Gœthe, le premier Faust, dans la belle traduction, aujourd’hui sous presse, de M. Camille Benoit. C’est un riche magasin d’idées et de sentiments ; c’est mieux encore : c’est un laboratoire où la substance humaine est mise au creuset. Pourtant, que de brumes dans cette œuvre du plus lumineux génie de toute la Germanie ! On y marche à tâtons par des sentiers tortueux, le regard aveuglé de