Page:La Vie littéraire, I.djvu/335

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M. Becq de Fouquières, ai-je besoin de le dire, ne crut jamais à un André Chénier si raisonnable. Il persista à le voir violent, fougueux, excessif, se donnant sans mesure à tout ce qui sollicitait son âme mobile et prompte, ardent à l’amour, à la haine, au travail, plein de vie et d’âme et de génie.

Quant à M. Chénier, il n’était pas homme à en démordre. Tout au plus accorda-t-il que Fanny, la vertueuse Fanny avait réellement existé, et que peut-être André l’avait aimée. « Mais, se hâte-t-il d’ajouter, cet amour, si amour il y eut, ne fut jamais un amour comme on l’entend aujourd’hui. » Hélas ! on l’entend aujourd’hui tout de même qu’autrefois. Ce sont les choses de l’amour qui changent le moins. Et, si quelque jeune curieuse demande aujourd’hui, comme autrefois l’héroïne d’Euripide : « Qu’est-ce donc qu’aimer ? » Il faudra lui répondre encore avec la vieille Athénienne du poète : « Ô ma fille, la chose la plus douce à la fois et la plus cruelle ! »

C’est ce que pensait, sans doute M. Becq de Fouquières. Il était indulgent : car il savait que les hommes ne valent que par les passions qui les animent, et qu’il n’y a de ressources que dans les fortes natures.

Il avait vu son dieu, son André, jeter d’abord au hasard les flammes de son ardente jeunesse. Puis, se calmant, se purifiant chaque jour par le travail, la réflexion et la souffrance, atteindre enfin, en quelques années, aux chastes mélancolies de l’amour idéal. Tel est, en effet, le sentiment qu’inspira au poète,