Page:La Vie littéraire, I.djvu/368

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
344
la vie littéraire.

ne pas choisir les plus aimables ? C’est ce que faisaient les Grecs. Ils adoraient la beauté ; la laideur, au contraire, leur semblait impie. Pourtant, ils ne conservaient guère d’illusions ni sur la réalité des choses, ni sur la bonté de la nature. Ces Hellènes eurent de bonne heure une philosophie douloureuse et sans illusions.

Je feuilletais, ce matin même, le beau livre de M. Victor Brochard sur les sceptiques et j’y voyais que le doute scientifique régnait dans les plus anciennes écoles de la Grèce, avec son cortège de tristesses et d’amertumes. La Grèce intelligente souffrit, dès l’enfance, de l’impossibilité de croire. Sa religion ne fut que l’amusement de son incrédulité. C’est pourquoi peut-être cette religion resta humaine et bienfaisante. Du moins, ce charmant petit peuple n’accrut pas son mal en ajoutant à l’impossibilité de croire l’impossibilité d’aimer. Il eut la sagesse de poursuivre le beau, alors que le vrai lui échappait, et le beau ne le trompa point comme le vrai.

C’est que le beau dépend de nous ; il est la forme sensible de tout ce que nous aimons. Entre les romanciers idéalistes et les romanciers réalistes la question est bien mal posée. On oppose la réalité à l’idéal, comme si l’idéal n’était pas la seule réalité qu’il nous soit permis de saisir. Dans le fait, les naturalistes voudraient nous rendre la vie haïssable, tandis que les idéalistes cherchaient à l’embellir. Et comme ils avaient raison ! Comme ce qu’ils faisaient était