Page:La Vie littéraire, I.djvu/89

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Adolphe compatit au douloureux étonnement de l’âme qu’il a trompée ; il comprend qu’il y a quelque chose de sacré dans cette âme qui souffre parce qu’elle aime. Où il n’avait senti d’abord que des ardeurs importunes, il sent la chaleur auguste d’un cœur vivant et transpercé.

Lorsqu’il avait trente-cinq ans et qu’il n’aimait plus, il disait : « Mon cœur est trop vieux pour s’ouvrir à des liaisons nouvelles. » Mais, quinze ans plus tard, il se sentait jeune encore et courait aux orages. En cela, il fut semblable aux autres hommes. J’ai entendu pour ma part bien des gens s’écrier, à quarante ans, à trente ans même, qu’ils se sentaient vieux et atteints d’une caducité morale qu’ils savaient sans remède. Je les ai retrouvés, dix et vingt ans après, vantant leur jeunesse inépuisable.

J’ai dit que Benjamin Constant faillit aimer tout à fait. C’est madame Récamier, avec « sa figure d’ange et de pensionnaire », qui fit ce demi-miracle. Elle le rendit fou rien qu’en défaisant ses gants :


Facie tenerisque lacertis
Devovet


Le fit-elle sans le vouloir ? Benjamin Constant ne le croyait pas, et il est bien probable qu’il avait raison.

Il lui écrivit des lettres où l’on sent la flamme. Il lui disait : « Aimer, c’est souffrir, mais aussi c’est vivre. Et, depuis si longtemps, je ne vivais plus ! » Il