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LA VIE LITTÉRAIRE.

Oui, MM. les académiciens ont fait un excellent choix. Savent-ils même jusqu’à quel point leur choix est excellent ? Savent-ils que l’auteur de Gotte est un rare et charmant esprit ; qu’il est attique à sa façon, et que cette façon est des meilleures, car elle est naturelle ? Se sont-ils bien dit que M. Henri Meilhac alliait, dans ses œuvres faciles, la vérité à la fantaisie et le comique audacieux à l’observation juste ?

Voilà un bon choix. Il en faut de tels. Il en faut aussi de mauvais, il en faut de détestables. Ce n’est point un paradoxe d’affirmer que les mauvais choix sont nécessaires à l’existence de l’Académie française. Si elle ne faisait pas dans ses élections la part de la faiblesse et de l’erreur, si elle ne se donnait pas quelquefois l’air de prendre au hasard, elle se rendrait si haïssable qu’elle ne pourrait plus vivre. Elle serait dans les lettres françaises comme un tribunal au milieu de condamnés. Infaillible, elle paraîtrait odieuse. Quel affront pour ceux qu’elle n’accueillerait pas, si l’élu était toujours le meilleur ! La fille de Richelieu doit se montrer un peu légère pour ne pas paraître trop insolente. Ce qui la sauve, c’est qu’elle a des fantaisies. Son injustice fait son innocence, et c’est parce que nous la savons capricieuse qu’elle peut nous repousser sans nous blesser. Il lui est parfois si avantageux de se tromper que je suis tenté de croire qu’elle le fait exprès. Telle de ses élections désarme l’envie. Puis, au moment où l’on désespérait d’elle, elle se montre ingénieuse, libre et perspicace. Il est bien vrai qu’il faut, dans toutes les choses humaines, faire la part du hasard.