Page:La Vie littéraire, II.djvu/159

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sage que Pyrrhon, mais il était plus touchant. Et, en vérité, ses larmes, encore qu’un peu trop imbéciles, sont plus humaines que l’insensibilité vertueuse du sage d’Elis. On rapporte de cette insensibilité un exemple merveilleux. Ayant vu, dit-on, Anaxarque, son maître, tomber dans un fossé, Pyrrhon passa sans daigner lui tendre la main. Non seulement le maître ne se plaignit point, mais il loua l’indifférence de son disciple. Bayle, qui rapporte ce fait, ajoute : « Que pourrait-on faire de plus surprenant sous la discipline de la Trappe ? »

M. Brochard a fort bien appelé Pyrrhon un ascète grec. C’est en effet dans les vies des pères du désert qu’on voit les exemples d’un pareil effort pour dépouiller l’homme de toute humanité.

La vie sainte que Pyrrhon menait à Élis le rendit vénérable à ses concitoyens qui l’élevèrent au sacerdoce. Il remplit les fonctions de grand prêtre avec exactitude et décence, comme un homme qui respectait les dieux de la République. En montrant ce respect, il n’abandonnait rien de sa philosophie, car le scepticisme ne nia jamais qu’il ne fallût se conformer aux coutumes et pratiquer les devoirs de la morale. Il prenait parti sur ces choses-là sans attendre la certitude. De même, notre Gassendi put professer la théologie sans croire en Dieu, et c’était un fort honnête homme.

P.-S.— Il n’était et ne pouvait être dans mon dessein de donner au lecteur une idée du livre de M. Victor Brochard. Ce livre a été couronné par l’Académie