Page:La Vie littéraire, II.djvu/298

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progrès indéfini. Le moyen âge n’a connu ni ce découragement ni cette espérance. Pour les hommes de ce temps, le monde avait toujours été tel qu’ils le voyaient (c’est pour cela que leurs peintures de l’antiquité nous paraissent grotesques), et le jugement dernier le trouverait tel encore… Le monde matériel apparaît à l’imagination comme aussi stable que limité, avec la voûte tournante et constellée de son ciel, sa terre immobile et son enfer ; il en est de même du monde moral : les rapports des hommes entre eux sont réglés par des prescriptions fixes sur la légitimité desquelles on n’a aucun doute, quitte à les observer plus ou moins exactement. Personne ne songe à protester contre la société où il est, ou n’en rêve une mieux construite ; mais tous voudraient qu’elle fût plus complètement ce qu’elle doit être. Ces conditions enlèvent à la poésie du moyen âge beaucoup de ce qui fait le charme et la profondeur de celle d’autres époques : l’inquiétude de l’homme sur sa destinée, le sondement douloureux des grands problèmes moraux, le doute sur les bases mêmes du bonheur et de la vertu, les conflits tragiques entre l’aspiration individuelle et la règle sociale. » (Page 34.)

Quel est donc l’intérêt, quels sont donc les mérites de cette littérature condamnée dès sa naissance à une irrémédiable humilité, ignorant la beauté des formes, la volupté des choses, la Vénus universelle, et plus étrangère encore à ces nobles curiosités, à cette inquiétude de la pensée, à ce mal sublime, ce monstre divin que nous caressons, tandis qu’il nous dévore ? Par