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M. ALEXANDRE DUMAS FILS.

bles de nos instincts ? L’éducation et l’hérédité ne pèsent-elles pas sur tous nos actes ? Nous naissons incorrigibles, hélas ! Nous naissons si vieux ! Si Clémenceau avait songé que tous les éléments dont se composait le corps délicieux de cette pauvre enfant existaient et s’agitaient dans l’immoral univers de toute éternité, il n’aurait pas brisé cette délicate machine. Il aurait pardonné à cette âme obscure le crime de ses nerfs et de son sang. Écoutez ce que dit en vers la philosophie naturelle ; elle dit :

Les choses de l’amour ont de profonds secrets.
L’instinct primordial de l’antique nature,
Qui mêlait les flancs nus dans le fond des forêts,
Trouble l’épouse encor sous sa riche ceinture ;
Et, savante en pudeur, attentive à nos lois,
Elle garde le sang de l’Ève des grands bois.

Je sais, je sais tout ce qu’on doit à la morale. Dieu me garde de l’oublier ! La société est fondée sur la famille, qui repose elle-même sur la foi des contrats domestiques. La vertu des femmes est une vertu d’État. Cela date des Romains. La victime héroïque de Sextus, la chaste Lucrèce, exerçait la pudeur comme une magistrature. Elle se tua pour l’exemple : Ne ulla deinde impudica Lucretiæ exemplo vivet. À ses yeux, le mariage était une sorte de fonction publique dont elle était investie. Voilà qui est bien. Ces Romains ont édifié le mariage comme les aqueducs et les égouts. Ils ont uni du même ciment la chair et les pierres. Ils ont construit pour l’éternité. Il n’y eut jamais au monde maçons et légistes pareils. Nous habitons encore la maison qu’ils