Page:La Vie littéraire, II.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

elle méprise la terre et les terriens et pense que les rivières, ce n’est que de l’eau pâle, ingrate et fade, cette eau qui passe et ne revient pas. Voyez-la, la brave fille, sur la route de Saint-Valéry, qui se déroule toute poudreuse entre deux rangées d’arbres tordus par le souffle de l’ouest…

 Cinq lieues sur cette route morne. Élise en avait le cœur plus
 malade que les jambes. Elle ne s’intéressait guère à la
 campagne. Tout s’y rapetisse et s’y rétrécit. On n’y peut
 entrevoir que des coins de ciel, on n’y respire qu’une brise
 concentrée. Des horizons qu’on toucherait de la main ; une terre
 si dure à manier, si avare, que, pour lui arracher ses
 richesses, on est réduit à se la partager par petits carrés, et
 l’on y épuise sa vie à tracer des sillons longs d’une encâblure
 à peine. Qu’est-ce auprès de la mer, la grande mer ? Elle vous
 ouvre les poumons, celle-là, avec son souffle que rien n’arrête,
 et l’on met, à la sillager de nord en sud, moins de temps qu’il
 n’en faudrait pour labourer un champ pas plus vaste qu’un port.
 C’est la vie large et généreuse qui vous ranime tous les sens à
 la fois et vous nourrit des forces vierges de la nature. Élise
 avait hâte de la revoir, cette mer, aussi belle dans ses colères
 que dans ses caresses, cette mer qui l’avait faite courageuse et
 forte.

Élise a une tâche, qu’elle saura accomplir. Avant de céder à l’amour permis, elle devra tirer du fond de la mer le corps de son père et l’ensevelir. C’est son père lui-même qui lui apparaît pour lui donner cet ordre. Vous êtes libre d’ailleurs de croire que le fantôme du