Page:La Vie littéraire, II.djvu/50

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Toutes ces qualités-là ne font point un parfait amant et il ne faut pas trop s’étonner si les plus froides lettres de cette correspondance générale sont les lettres d’amour. Celles-là sont adressées à une poétesse qui avait déjà inspiré, dit-on, un long et ardent amour à un éloquent philosophe. Elle était belle, blonde et discoureuse. Flaubert, quand il fut choisi par cette muse, avait déjà, à vingt-trois ans, le goût du travail et l’horreur de la contrainte. Ajoutez à cela que cet homme fut de tout temps incapable du moindre mensonge, et vous jugerez de son embarras à bien correspondre. Pourtant il fit d’abord de belles lettres ; il s’appliqua si bien qu’il atteignit au galimatias. Il écrivit le 26 août 1846 :

J’ai fait nettement pour mon usage deux parts dans le monde et dans moi : d’un côté l’élément externe, que je désire varié, multicolore, harmonique, immense, et dont je n’accepte rien que le spectacle d’en jouir ; de l’autre, l’élément interne, que je concentre afin de le rendre plus dense et dans lequel je laisse pénétrer, à pleines effluves, les purs rayons de l’esprit par la fenêtre ouverte de l’intelligence.

Ce tour-là ne lui était pas naturel. Il s’en lassa vite et rédigea ses billets dans un style plus clair, mais dur et même un peu brutal. Dans les moments de tendresse, qui sont rares, il parle à la bien-aimée, peu s’en faut, comme à un bon chien. Il lui dit : « Tes bons yeux, ton bon nez. » La muse s’était flattée d’inspirer des accents plus harmonieux.