Page:La Vie littéraire, II.djvu/56

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c’est en recevant les commandements de M. de Maupassant que je reconnais toute la rigueur de la loi morale.

Jamais le devoir ne m’apparut à la fois si difficile, si obscur et si contradictoire. En effet, quoi de plus malaisé que d’apprécier l’effort d’un écrivain sans considérer à quoi tend cet effort ? Comment favoriser les idées neuves en tenant la balance égale entre les représentants de l’originalité et ceux de la tradition ? Comment distinguer et ignorer à la fois les tendances des artistes ? Et quelle tâche que de juger par la raison pure des ouvrages qui ne relèvent que du sentiment ? C’est pourtant ce que veut de moi un maître que j’admire et que j’aime. Je sens que c’en est trop, en vérité, et qu’il ne faut pas tant exiger de l’humaine et critique nature. Je me sens accablé et dans le même temps— vous le dirai-je ? — je me sens exalté. Oui, comme le chrétien à qui son Dieu commande les travaux de la charité, les œuvres de la pénitence et l’immolation de tout l’être, je suis tenté de m’écrier : Pour qu’il me soit tant demandé, je suis donc quelque chose ? La main qui m’humiliait me relève en même temps. Si j’en crois le maître et le docteur, les germes de la vérité sont déposés dans mon âme. Quand mon cœur sera plein de zèle et de simplicité, je discernerai le bien et le mal littéraires, et je serai le bon critique. Mais cet orgueil tombe aussitôt que soulevé. M. de Maupassant me flatte. Je connais mon irrémédiable infirmité et celle de mes confrères. Nous ne posséderons jamais, ni eux ni moi, pour étudier les œuvres d’art, que le sentiment et la raison, c’est-à-dire les instruments