Page:La Vie littéraire, II.djvu/77

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demeurassent chastes à son préjudice, mais cela suffit pour former l’opinion.

Tandis qu’il parlait de cet air brusque et dégagé, Mérimée souffrait cruellement. « Je suis devenu incapable de travailler, disait-il, depuis un malheur qui m’est arrivé. »

Et il disait encore :

Lorsque j’écrivais, j’avais un but ; maintenant je n’en ai plus. Si j’écrivais, ce serait pour moi, et je m’ennuierais encore plus que je ne fais. Il y avait une fois un fou qui croyait avoir la reine de la Chine (vous n’ignorez pas que c’est la plus belle princesse du monde) enfermée dans une bouteille. Il était très heureux de la posséder, et il se donnait beaucoup de mouvement pour que cette bouteille et son contenu n’eussent pas à se plaindre de lui. Un jour, il cassa la bouteille, et, comme on ne trouve pas deux fois une princesse de Chine, de fou qu’il était, il devint bête.

Ce doux insensé n’était autre que lui-même. Comment il avait perdu la bouteille enchantée, c’est ce qu’il raconta un autre jour à madame Senior, avec une sécheresse voulue et en mettant l’aventure sur le compte d’ « un de ses amis ». M. d’Haussonville se porte garant, dans une note, de la vérité de cette confidence déguisée.

Figurez-vous deux personnes qui s’aiment très réellement, depuis longtemps, depuis si longtemps que le monde n’y pense plus. Un beau matin, la femme se met en tête que ce qui a fait son bonheur et celui d’un autre pendant dix ans est mal. « Séparons-nous ; je