Page:La Vie littéraire, II.djvu/98

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colonel fut victorieux : il retira les feuillets des flammes et les emporta triomphant dans sa maison de la rue des Boulangers où il entassait toutes sortes de débris des siècles. Il possédait des boîtes de momies, l’échelle de Latude, des pierres de la Bastille. Il était de ces hommes qui veulent fourrer l’univers dans une armoire. Tel est le rêve de tout collectionneur. Et comme ce rêve est irréalisable, les vrais collectionneurs ont, comme les amants, dans le bonheur même, des tristesses infinies. Ils savent bien qu’ils ne pourront jamais mettre la terre sous clef, dans une vitrine. De là leur mélancolie profonde.

J’ai pratiqué aussi les grands bibliophiles, ceux qui recueillent les incunables, les humbles monuments de la xylographie du XVe siècle, et pour qui la Bible des pauvres, avec ses grossières figures, a plus de charmes que toutes les séductions de la nature unies à toutes les magies de l’art ; ceux qui réunissent les royales reliures faites pour Henri II, Diane de Poitiers et Henri III, les petits fers du XVIe et du XVIIe siècle, que Marius reproduit aujourd’hui avec une régularité qui manque aux originaux ; ceux qui recherchent les maroquins aux armes des princes et des reines ; ceux enfin qui rassemblent les éditions originales de nos classiques. J’aurais pu vous faire les portraits de quelques-uns de ceux-là, mais ils vous auraient moins amusés, je crois, que ceux de mon pauvre vicaire et de mon pauvre chanoine. Il en est des bibliophiles comme des autres hommes. Ceux qui nous intéressent le plus ne sont