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fin de roman

sif comme si elle se fût adressée à la morte qui aurait été présente.

Comme l’orchestre attaquait un jitterbug, je lui pris la main et nous entrâmes dans la danse. Ah ! c’était un spectacle de la voir. Ma compagne levait ses longues et maigres jambes vêtues de noir à hauteur de la ceinture et se démenait frénétiquement. C’était une véritable danse d’épileptique. De temps à autre, elle lançait d’un ton de défi et de moquerie : On s’amuse, hein ! la vieille ! Le jitterburg fini, elle se reposa un moment, mais la fantastique exhibition qu’elle venait de donner avait excité tous les hommes présents et chacun venait tour à tour l’inviter à danser. Lorsque je sortis de la salle, elle tournoyait comme une démente dans un furieux boogie woogie et ses longues et maigres jambes gainées de noir battaient l’air à hauteur de la ceinture. Ah ! elle s’en donnait pour fêter l’enterrement de sa mère. Toute la salle, les yeux fixés sur elle, regardait avec amusement et stupeur cette étrange créature qui donnait l’impression d’une grande sauterelle noire.

— Et tu as dansé avec elle ? demanda Valentine horrifiée.

— Mais oui, pourquoi pas ? Ce n’était pas ma mère à moi qui était morte.

— C’était une démone. Je t’assure que si j’ai été déshéritée, je n’ai pas le goût d’imiter cette fille-là.

Après les funérailles, au retour du cimetière, M. et Mme Bélanger rentrèrent chez eux. Ils avaient l’air morose,

— Je n’en reviens pas de ma surprise de savoir que je ne reçois rien, que tout cet argent va à Rosabelle, se lamenta Valentine.

— Que veux-tu ? tu n’avais pas le tour, la manière de l’enjôler, répondit le mari. Bien certain que tu t’es dé-