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fin de roman

lutter avec ses instincts, à les dompter. Ceux qui le connaissaient déclaraient qu’il semblait fait pour la vie monastique.

C’était un homme simple, extrêmement simple.

Ah non ! ce n’était pas un homme comme les autres.

Sûrement, ce n’était pas un mari qui aurait convenu à toutes les jeunes épouses, mais Élise était une personne calme, placide, qui ne s’emballait jamais, satisfaite de la routine, du même traintrain. Avec cela, pas bavards ni l’un ni l’autre. Parfois, des heures s’écoulaient sans qu’ils échangeassent un mot. Leur seule présence à l’un et à l’autre leur suffisait, était tout ce dont ils avaient besoin. D’être près l’un de l’autre les rendait satisfaits. Ils étaient comme ces vieux époux qui ont vécu un demi-siècle côte à côte, qui n’ont plus rien à se dire, qui savent que les paroles sont vaines, inutiles.

Si M. Frigon n’avait pas de passions, il avait une manie. Chaque soir, l’été après son souper, il enlevait ses vêtements de ville et revêtu d’une vieille culotte et d’une chemise négligée, il prenait sa tondeuse et, sans hâte, sans se presser, en fumant sa pipe, il rasait le gazon de la pelouse devant sa maison. Les voisins entendaient le bruit monotone de l’instrument et savaient que M. Frigon se livrait à son passe-temps favori, prenait son exercice quotidien. Ils ne l’apercevaient que faiblement, car les arbres et les arbustes entourant sa propriété le cachaient presque complètement aux regards. Non seulement, il aimait à être seul, il voulait être seul, mais il voulait être à l’abri des regards indiscrets.

Autrefois, M. Frigon faisait du canotage, mais depuis son mariage, il avait renoncé à cette distraction. Et pour manifester sa décision, il avait monté sur la côte son fidèle