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fin de roman

dans sa main tremblante et c’était comme si elle eût tenu un objet qui lui aurait brûlé les doigts. Après quelques minutes, elle l’enfonça dans la poche de son manteau, mais elle le reprit un moment après et le relut de nouveau. C’était comme une gorgée de poison qu’elle avalait. Dans sa chambre, le soir après le souper, elle relisait encore la lettre, et c’était comme une autre dose de poison qu’elle ingurgitait. Cette lecture lui faisait du mal, mais néanmoins, elle reprenait la note voulant se faire souffrir davantage, se torturer encore. Elle était comme un tortionnaire qui s’acharne après sa victime. Et pendant ce temps, elle entendait par sa fenêtre le bruit monotone de la tondeuse que poussait lentement son beau-frère en fumant sa pipe. Celui-là, elle le savait, n’avait pas de soucis ni d’ennuis ; il ne connaissait ni les drames ni les tragédies qui remplissent les existences humaines. Lui, il vivait dans la paix et la tranquillité. Chaque matin il se rendait à sa maison d’affaires et, le soir, après son souper, en vêtements négligés, il tondait lentement le gazon de sa pelouse en fumant la pipe. Les émotions étaient rares dans sa vie. Son petit canot rouge était toujours couché à l’envers le long de la clôture. Il l’avait oublié.

Le dimanche, lorsque M. Boisvert fit son apparition, sa femme lui demanda :

— Comment t’arranges-tu à la maison ?

— Pas trop mal. Évidemment, ce n’est pas comme lorsque tu es là, répondit le mari d’un ton dégagé.

— Puis, penses-tu à moi quelques fois ? ajouta-t-elle d’une voix qui voulait paraître enjouée.

— Tu sais bien que je pense à toi chaque matin et que j’appelle de tous mes vœux le jour bienheureux où tu reviendras à la maison.