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Page:Laberge - Hymnes à la terre, 1955.djvu/19

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Le chemin du monastère


La plus belle promenade à faire au commencement du printemps est incontestablement celle qui suit le chemin du monastère des franciscains et mène à la réserve indienne de Caughnawaga. Cette route fort étroite traverse de grands vergers fleuris qui, commençant sur un terrain plat à gauche, vont en s’étageant sur des coteaux à droite. Des deux côtés ce sont à perte de vue, des pommiers en fleurs. L’on voit des arbres énormes, très vieux, dont les branches s’étendent au loin et touchent le sol tellement elles ont été courbées par le poids des précédentes récoltes de fruits. Ils sont couverts d’une prodigieuse floraison blanche et rose qui est comme un immense manteau fleuri jeté sur la campagne et qui répand sur toute la région un grisant parfum. L’ardent soleil chauffe la terre, le ciel est bleu et dans les arbres, ce ne sont que trilles, roulades et chants d’oiseaux. De temps à autre, un aéroplane tout étincelant passe en vrombissant au dessus des champs.

De chaque côté de la route, la végétation est quelque chose de fantastique. Les jeunes pousses des frênes, des ormes, des vignes, des cerisiers sauvages, semblent jaillir du sol sous la puissante et généreuse poussée de la sève qui les gonfle.

Aller sur la route enveloppée de la beauté de la terre, quand vous êtes en santé, même quand vous êtes vieux comme moi, quelle joie, quel enchantement ! Vos yeux sont émerveillés par le délicat coloris des fleurs, vous respirez le capiteux arôme de cette immense floraison, vous sentez sur votre figure et vos mains la tiédeur de l’air, vous marchez et, de constater la souplesse de vos jambes, de vos genoux, vous cause une satisfaction difficile à rendre. En vérité, vous êtes l’un des heureux de la terre.