Page:Labiche - Théâtre complet, Calman-Lévy, 1898, volume 03.djvu/345

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Le lendemain, vers midi, je ne sais par quelle suite de circonstances je me trouvai à la porte de Brébant… je montai sans y penser… je pris un cabinet par mégarde… et je me fis servir une douzaine d’huîtres machinalement ! En les mangeant, je me disais : "Elle ne viendra pas, c’est une farce !…" Tout à coup la porte s’ouvre, une dame paraît… mon inconnue… elle lève son voile… patatras ! c’était la couturière de ma femme !… Une petite brune… pas bien distinguée… mais piquante ! J’avais invité la couturière de ma femme !… Que faire ? Pour cacher mon embarras, je fais venir deux biftecks, avec pommes, deux fricassées de poulet, deux civets de lièvre, deux gibelottes de lapin, et caetera ! et caetera !… enfin, un bon petit déjeuner. Nous allions attaquer la seconde bouteille de champagne… lorsque par la porte, restée entr’ouverte, j’aperçois une tête… la tête de Méduse ! celle d’Isidore, mon domestique !… Nous avions du monde à dîner, et ma femme l’avait envoyé chez Brébant pour commander un plat… L’animal entrait dans tous les cabinets pour chercher le chef de l’établissement. En m’apercevant, il s’écrie : — "Tiens ! Monsieur, qui est avec une dame !…" Et il disparaît… Je demande l’addition, je cours sur ses traces et j’arrive… trop tard ! Il venait de tout raconter à ma femme !… Je m’attendais à une scène, à des cris, à des larmes !… Pas du tout ! je trouvai Elisa très calme, très digne, mais très sévère. Elle se contenta de me demander froidement la clef de la caisse… et depuis ce jour… elle l’a gardée ! Elle me donne vingt francs par semaine pour mes menus plaisirs… Vingt francs ! vraiment ; ce n’est pas assez, je suis dans la misère ! C’est au point que je regarde à prendre un omnibus, même en haut !…Ah ! si jamais je retourne au bal-de l’Opéra !