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de faim, faute d’avoir cultivé le grain nécessaire à leur subsistance.

Ce fut longtemps la seule production et la seule exportation de la Virginie ; et comme l’argent y était rare, ainsi qu’il arrive toujours dans les pays nouveaux, le tabac devint la monnaie courante, la mesure commune des valeurs de la colonie. Les ministres des cultes[1], les fonctionnaires publics étaient payés en tabac ; et quand, en 1620, la compagnie expédia aux colons une cargaison de femmes « pures et sans taches, » ce fut au prix de cent vingt ou cent cinquante livres de tabac, ce qui valait à peu près soixante-quinze dollars, qu’on céda leur main aux émigrants. L’année d’après le prix avait doublé[2] C’est avec cette valeur qu’on payait la plupart des taxes publiques ; et, comme le prix en variait suivant l’abondance des récoltes, le conseil colonial fixait chaque année le prix courant du tabac pour qu’on pût payer en cette monnaie le grain, la viande et les autres articles de consommation générale.

La Virginie nous donne ainsi dans son histoire la démonstration d’une des vérités les plus vieilles de l’économie politique, vérité qu’on a singulièrement méconnue. C’est que l’argent ou la monnaie,

  1. En 1758, c’est encore ainsi qu’on payait le clergé. Le budget du culte anglican était arrêté, en 1748, à soixante mille livres de tabac. Le prix de la livre à deux pences ou seize schellings, et huit pences le quintal. Wirt, Life of Patrick Henry, p. 24.
  2. Hildreth, t. I, p. 119.