Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 1.djvu/445

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prouvent que cette volonté individuelle à laquelle on soumet un pays, étant nécessairement incomplète, est toujours tyrannique.

On ne fait pas une nation à l’image d’un homme, et le législateur qui s’entête à cette œuvre chimérique n’arrive qu’à l’impuissance et à la déception. L’histoire de la Révolution française porte en caractères sanglants cette incontestable vérité. Ce n’est pas qu’un homme, qu’une assemblée plus éclairée que le gros de la nation, ne puisse imaginer des institutions théoriquement plus parfaites que celles qui existent ; mais ce ne sont jamais celles que comportent le degré de civilisation, la faiblesse, ou les préjugés mêmes du pays. Vous m’offrez un vêtement magnifique, mais qui me gêne et n’est pas fait pour moi ; il me faut violemment renoncer à mes idées, à mes sentiments pour adopter les vôtres, qui peut-être valent moins, et qui d’ailleurs me sont étrangers. Exiger d’un peuple qu’il change sa vie au gré du législateur (et depuis soixante ans combien de fois la France eût-elle cessé d’être elle-même !), c’est tout à la fois une folle prétention, et la plus insupportable comme la plus insolente des tyrannies, celle qui, par malheur, est la moins rare aujourd’hui. Nous ne sommes plus une race corvéable et qu’on taille à volonté, quoiqu’on en use assez largement en ce point ; mais nous sommes une race qu’on réglemente, qu’on gouverne, qu’on constitue à merci et