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soit réduit à choisir entre l’indifférence de Montaigne et le désespoir de Pascal, jetant au pied de la croix la raison humiliée et vaincue. Pour lui, cette force dédaignée des dévots et des sceptiques est le don le plus grand que Dieu nous ait fait, c’est l’œuvre divine par excellence, c’est le secret de la création. S’il l’honore, ce n’est donc pas par orgueil, mais par piété ; c’est qu’il est convaincu que la vérité est la fin de notre être, et qu’une seule route y mène : celle où nous guident, comme deux sœurs, la raison et la révélation. Toute doctrine qui attaque l’intelligence attaque Dieu et le christianisme : Dieu, qui nous a créés à son image, c’est-à-dire qui nous a faits raisonnables ; le christianisme, qui n’a plus de base dès qu’au nom de la religion on condamne l’esprit humain à une incertitude invincible, et qu’on abandonne aux incrédules la seule clarté qui nous permet ici bas de deviner le ciel. « Je me glorifie d’être chrétien, dit Channing, parce que le christianisme agrandit, fortifie, exalte ma raison. Si je ne pouvais être chrétien qu’en renonçant à mon jugement, je n’hésiterais pas dans mon choix. Je suis prêt à sacrifier pour la religion mes biens, mon honneur et ma vie. Mais je ne dois pas immoler à une croyance, quelle qu’elle soit, ce qui m’élève au-dessus de la brute et me fait homme. Renoncer à la plus haute faculté que Dieu nous ait accordée, c’est commettre un sacrilège, c’est faire violence à ce qu’il y a en nous de divin. Non, le christianisme ne déclare pas la guerre à la raison ; il est un avec elle, et lui a été donné comme un guide et comme un ami. »

« Channing a au plus haut degré le respect de l’individu ; ce n’est pas l’humanité, c’est-à-dire une abstraction, c’est l’homme qu’il aime, et dont il rappelle sans cesse la valeur et la dignité méconnues. Trop souvent, et c’est l’erreur constante des socialistes et des despotes, on imagine un intérêt général qu’on obtient par le sacrifice des droits particuliers ; Channing répète sans se lasser que l’homme n’est pas fait pour la société ni le citoyen pour l’État, mais que, tout au contraire, État et société n’existent que pour la garantie des droits de l’individu. L’homme n’est pas un ressort de machine qui n’a de valeur que par sa place et sa fonction dans