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études un ordre inflexible, lui fixer, avec une précision mathématique, la marche et la durée des leçons, c’est la plus inutile des tyrannies si tous les esprits n’ont pas la même vocation, la même aptitude, le même degré d’instruction préparatoire.

On comprend facilement que l’État prenne une moyenne dans le choix et le nombre des connaissances exigées lors de l’examen. Demander trop, c’est rendre la science impossible ; demander trop peu, c’est la laisser s’avilir ; mais quel rapport y a-t-il entre les connaissances exigées et le moyen de les acquérir ? Que le gouvernement place le but à atteindre ni trop haut ni trop bas, cela se conçoit, et cette affaire le regarde mais que lui importe le chemin que prendront les concurrents, s’il y a trois, quatre, dix voies également légitimes ? Qu’importe à l’État qu’une tête spéculative débute par la philosophie, rattachant ainsi par un lien sensible l’enseignement qu’il vient de quitter au collège avec celui qu’il vient chercher dans la Faculté ? Si, au contraire, l’étudiant est une de ces imaginations vives pour qui l’histoire a des charmes tout particuliers, en quoi l’État est-il intéressé à gêner cette direction ? Pourquoi l’enseignement dogmatique du Code ne vaudrait-il pas l’enseignement exégétique ? Si le droit romain peut être professé de trois ou quatre manières différentes, pourquoi l’étudiant n’aurait-il pas le choix entre la méthode de Doneau, de Cujas, ou de Savigny[1] ? En quoi toutes ces différences scientifiques peuvent-elles concerner l’État, et quel intérêt politique peut-il y avoir pour lui à faire prévaloir une école sur l’autre, et à contrarier le libre développement des intelligences, c’est-à-dire, sous un autre nom, le libre développement de la science ? Le régime actuel est, je l’avoue, une énigme que je ne comprends pas dans un pays aussi libre que le nôtre ; je ne puis l’admettre que dans un empire comme l’Autriche, où il y a une science officielle et une vérité d’État, c’est-à-dire de convention.

Dans le reste de l’Allemagne on s’est préservé de ces exagé-

  1. Je suppose la possibilité de concentrer à peu de frais, dans la Faculté, toutes ces méthodes diverses ; je démontrerai plus loin § 4 et 5, que rien n’est moins difficile.