Page:Lacenaire, éd. Cochinat, 1857.djvu/16

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ternes, et arriva à la position d’associé dans la maison où il était entré presque comme garçon de magasin.

Dur, inflexible et impérieux envers tout le monde, il était, par contre, humble, souple, et même servile envers les nobles et les prêtres, auxquels, par reconnaissance, il avait voué un amour sans bornes et un dévoûment fanatique.

Il occupa, pendant vingt ans, la position d’associé dans la maison des frères Albert, et, en 1792, sa fortune étant faite, il songea à un autre établissement.

Il avait alors quarante-huit ans, et non-seulement il était encore célibataire, mais on n’avait jamais connu aucune liaison, même la plus passagère, à cet homme, dont la rudesse et l’âpreté effarouchaient les tendres affections.

Il y avait alors à Lyon une veuve que de grands malheurs venaient de frapper. Son mari, peintre distingué, après s’être ruiné au jeu, avait échappé au remords par le suicide, laissant dans la misère sa femme et quatre enfants.

Afin de nourrir sa famille, la pauvre veuve avait pris chez elle des pensionnaires ; mais comme l’aîné de ses enfants était une jeune fille d’une rare beauté, qu’elle élevait avec une chasteté ombrageuse, elle ne s’attachait à recevoir chez elle que des hôtes graves et austères.

Les pleurs de sa mère, dont elle était le discret témoin, les silencieuses angoisses que la misère mettait dans le ménage, avaient imprimé à l’esprit de cette pauvre enfant une teinte sérieuse, et à sa physionomie ce cachet de résignation souffrante et de grâce mélancoli-