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BOIS-SINISTRE

— Impossible, chère enfant, s’écrièrent-elles toutes deux.

— Vous ne pourrez pas demeurer seule avec votre cousin ! ajouta Mlle Brasier.

— À moins que… commença Mlle Agathe.

— Vous allez épouser votre cousin, n’est-ce pas, Mlle Marita ? C’est la seule solution possible.

— Oui, Mlle Brasier, répondis-je. Nous nous marierons, Arthur et moi, avant le départ de Mme Duverney.

— Cette semaine alors ! Quel jour ?

Quel jour ?… Ma foi, je ne le savais pas moi-même !…

— Jeudi, dis-je, à tout hasard. Et, Oh ! Il faut que je vous dise comme cette bonne Mme Duverney a été généreuse pour moi !

Je parlai aux deux vieilles demoiselles de ma belle robe de noces, de mon magnifique voile de mariée, de ma guirlande de fleurs d’oranger, de mes gants montant jusqu’au coude, de mes bas de soie blancs et de mes mignons souliers de chevreau, blancs, eux aussi.

— Mais ! C’est splendide ! s’écrièrent ensemble les demoiselles Brasier.

— J’espère, de tout mon cœur, que vous serez heureuse. Mlle Mérita ! fit Mlle Agathe. Soyez aussi heureuse que vous méritez de l’être, chère enfant ; je ne saurais dire plus, ni mieux, je crois.

— Merci, Mlle Agathe, répondis-je, d’une voix émue. Oh ! ajoutai-je, en me levant pour partir, que je voudrais que vous puissiez voir le magnifique gâteau de noces, que Mme Duverney a fait venir de chez le meilleur confiseur de la Ville ! Il est à trois étages, et tout décoré de Cupidons et de fleurs d’oranger… Je vous en apporterai, à chacune, un gros morceau, aussitôt que je le pourrai.

— Vous partez déjà, Mlle Marita ? dit Mlle Agathe.

— Il le faut… Si je retardais davantage, Mme Duverney serait peut-être inquiète à mon sujet… D’ailleurs, nous attendons un peu mon fiancé, par le train de sept heures et…

— Au revoir, alors, chère, chère enfant ! fit Mlle Brasier. Que le bon Dieu sème le bonheur sur votre route, toujours !

— Merci ! Merci ! répondis-je, en donnant aux deux vieilles demoiselles un tendre baiser.

Ayant prolongé ma visite chez les demoiselles Brasier, je marchai rapidement ; mais, en apercevant notre maison, de loin, je me mis à courir, car je vis que la salle à manger était vivement éclairée : Arthur, mon cher fiancé, était de retour !

VI

CRUELS MOMENTS


Une large véranda entourait notre maison, et chaque pièce du premier palier ouvrait sur cette véranda, au moyen de portes-fenêtres. Donc, au lieu de pénétrer dans la maison par la porte d’entrée, ce soir-là, je résolus de passer par l’une des portes-fenêtres de la salle à manger et de surprendre Arthur. Et c’est pourquoi Mme Duverney, qui était occupée dans la cuisine, n’eut pas connaissance de mon arrivée.

Oui, mon cousin était de retour… Je le vis, à travers les vitres ; assis près de la table, il lisait un journal.

Frappant légèrement à l’une des portes-fenêtres, j’entrai dans la salle à manger. Aussitôt, mon cousin jeta par terre le journal qu’il était à lire et il vint à ma rencontre.

— Marital ! Ma chérie ! fit-il, en me pressant sur son cœur.

— Arthur ! Ô Arthur ! m’écriai-je, éclatant en sanglots.

— Pourquoi ces larmes, Marita chérie ! me demanda-t-il en souriant. Ne pleure pas ainsi, pauvre petite je te prie !

— J’ai… J’ai cru que… que vous ne reviendriez jamais… balbutiai-je, un peu honteuse tout à coup d’avoir montré tant d’émotion.

— Me voilà de retour, et pour tout de bon ! m’assura-t-il en riant.

Je venais justement de m’asseoir auprès de mon cousin, quand la porte de la salle à manger s’ouvrit. Je crus que c’était notre domestique et je ne pris pas la peine de tourner la tête, étant trop intéressée en ce qu’Arthur me disait. Mais voici que celui-ci cessa soudain de parler, et s’étant levé, il s’élança à la rencontre de qui venait d’entrer.

Tournant la tête, cette fois-là, je fus excessivement étonnée d’apercevoir, suspendue au bras de mon fiancé, une jeune fille d’une rare beauté.

— Yvonne, ma chérie, dit Arthur, en s’a-