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BOIS-SINISTRE

viens comme nous avions ri ; le cerf-volant était trop lourd pour s’élever au vent.

— Maintenant, tante Charlotte, dit Philippe, lorsqu’il eut raconté l’incident en question, vous savez qu’il est neuf heures et demie !

— Neuf heures et demie ! Déjà !

— Mais, oui, chère Mme Duverney ! fis-je. Le docteur Foret serait bien mécontent s’il savait que nous vous avons fait veiller si tard… Vous allez prendre vos remèdes maintenant, n’est-ce pas ?

— Et vous dormirez ensuite, tante Charlotte. ajouta Philippe.

— C’est bon ! C’est bon ! répondit Mme Duverney en souriant. Je présume que je vais être obligée d’obéir.

— Bonne nuit, chère tante, dit Philippe, en lui donnant un baiser. J’espère que vous dormirez bien.

— Bonne nuit, Philippe… répondit-elle, Ô Philippe, reprit-elle, comme tu as toujours été gentil et bon pour moi ! Que Dieu te bénisse, cher, cher enfant !

— Que Dieu vous garde et vous bénisse, bonne tante Charlotte ! murmura Philippe, et je vis des larmes dans ses yeux.

Aussitôt que Philippe eut quitté la chambre. j’administrai à Mme Duverney ses remèdes, puis, ayant arrangé ses oreillers le plus confortablement possible, je l’embrassai et lui souhaitai une bonne nuit.

— Marita, me dit-elle, tu es comme ma vraie fille et ton dévouement envers moi me touche excessivement. Merci, chère enfant, pour tous les soins que tu n’as cessé de me prodiguer, depuis que tu es avec moi !

— Chère bonne Mme Duverney ! m’écriai-je. Ne serais-je pas un monstre d’ingratitude si je ne faisais pas tout mon possible pour vous ?

— Marita, reprit-elle, Philippe dit que tu es un vrai trésor… et c’est bien vrai ! Si, un jour, je vous voyais mariés l’un à l’autre, je serais la femme la plus heureuse de la terre.

Je couchais sur un canapé, dans la chambre de Mme Duverney, depuis que celle-ci était malade. Comme je n’aimais pas rester seule avec elle, vu qu’elle était si mal que je pouvais avoir besoin de secours à un moment donné. Prospérine couchait sur un autre canapé, dans le corridor, tout près de la chambre, et Zeus occupait l’une des chambres d’amis, sur le même corridor.

Bravo, le grand Terre-Neuve, couchait par terre, sur un tapis, au pied du lit de Mme Duverney, et c’est là qu’il avait toujours passé ses nuits, depuis le jour où Philippe l’avait trouvé, dans le hangar, il y avait deux ans.

Ce soir-là Philippe était aux Pelouses-d’Émeraude ; je l’entendais aller et venir dans sa chambre à coucher, et quel soulagement pour moi de pouvoir me dire qu’il était là, tout près, pour le cas où nous aurions besoin de lui ! Ma responsabilité avait été si grande depuis que Mme Duverney était tombée malade ! J’étais contente de placer cette responsabilité sur de plus fortes épaules que les miennes.

En posant la tête sur mon oreiller, je m’endormis. Le fait est que j’étais épuisée de fatigue et d’inquiétude.

Je dormis profondément, jusqu’à deux heures du matin, heure à laquelle je m’éveillai en sursaut.

Qu’est-ce qui m’avait éveillée si brusquement ?… Je m’assis sur mon canapé et j’écoutai… Je n’entendis pas un son… excepté le tic tac de l’horloge dans le corridor, en bas… Puis, deux heures sonnèrent…

Je me couchai… et je commençais à me rendormir quand, encore une fois, je fus éveillée… Cette fois, cependant, j’en compris la raison : Bravo hurlait lamentablement. C’était le hurlement le plus horrible que j’eusse jamais entendu de ma vie, et, sans que je m’en rendisse compte tout à fait, je sentis mon sang se glacer dans mes veines.

— Bravo ! criai-je. Cesse de hurler ainsi ! Cesse, à l’instant !

Mais le chien se mit à hurler de nouveau, plus fort, plus longuement… Ce hurlement, dans la nuit, c’était lugubre et cela produisait un étrange effet…

Je me levai d’un bond et j’allai trouver Prospérine, avec l’intention de l’éveiller ; mais celle-ci était assise sur son canapé ; les yeux lui sortaient presque de la tête et son visage était blanc comme de la chaux. Comme j’approchais d’elle, je l’entendis murmurer, en indiquant le chien :

— C’est le hurlement de la mort !…

Philippe arriva dans le corridor.

— Ô M. Philippe ! m’écriai je. S’il vous plaît fait descendre Bravo dans la cuisine ! Il fait tant de bruit, qu’il finira par éveiller Mme Duverney.