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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

nois ?… vous aviez les rieurs de votre côté ; tous ces villageois qui, y compris votre mari… Mais, assez de cela ! Je le répète, je suis venu chercher la petite !

— Vous ne l’aurez pas ! Elle m’appartient ! Je vous défie bien de l’arracher de mes bras ! dit la pauvre moribonde, en étreignant son enfant contre son cœur.

— Nous verrons bien ! fit le misérable, avec un ricanement vraiment diabolique.

Il arracha l’enfant des faibles bras de sa mère, puis il se dirigea vers la porte de sortie.

— Ma fille ! Rendez-moi ma fille ! implora Stéphanne.

Trop faible pour se tenir debout, elle se traînait sur ses genoux, tandis que ses mains, que l’agonie glaçait déjà, se cramponnaient à Félix de Montvilliers.

— Les rôles sont changés, n’est-ce pas, Madame ? dit le vilain. C’est vous qui pâlissez et souffrez aujourd’hui… et mon tour est venu de me moquer de vous !

— Pour amour de Dieu, rendez-moi… ma… ma fille… ma… ma… Stéphannette chérie !

Mais ces dernières paroles s’éteignirent dans un râle… Stéphanne venait de rouler par terre… Son cœur trop torturé s’était brisé… Elle était morte.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Deux ans plus tard, Jacques Livernois ayant été libéré, apprit que sa femme était morte et que sa fille avait disparu. Les recherches les plus minutieuses avaient été faîtes, lors de la disparition de la petite ; mais elle était restée introuvable…

Jacques Livernois, désespéré de tant de malheurs, disparut, lui aussi, subitement, du village où il avait vécu, et personne, de ceux qui l’avaient connu, ne le revit plus jamais, n’entendit plus jamais parler de lui.

FIN DU PROLOGUE

L’HOMME DE LA MAISON GRISE

PREMIÈRE PARTIE
ANNETTE, L’AVEUGLE


Chapitre I

LE SENTIER DE NULLE PART


On était au dimanche. Une tranquillité vraiment dominicale régnait partout, sur toute l’étendue de la Nouvelle-Écosse ; une tranquillité si grande, que ça portait au spleen. Quel contraste aussi d’avec le va-et-vient des jours de semaine !… Les dimanches, les houillères ne fonctionnent pas ; elles ne fourmillent pas de mineurs, comme aux jours de semaine. On n’entend pas le bruit constant des chars, descendant dans les entrailles de la terre et remontant, chargés de charbon ; ce charbon, qu’on entasse par petits monticules ensuite, aux environs de la houillère, en ce jour du Seigneur, on n’entend pas le vacarme qu’il produit en étant constamment déchargé sur le terrain.

Il était quatre heures de l’après-midi. J’allais dire qu’il pleuvait ; mais ce n’était pas précisément de la pluie qui tombait ; seulement une sorte de brume humide, très désagréable, en somme.

Les rues étaient désertes ; chacun, chez soi, essayait de passer le temps le plus agréablement possible, tout en soupirant après le brou-ha-ha des jours de travail ; les uns, en lisant la Bible ou quelque brochure, les autres, en jouant aux cartes ou au parchessis.

Soudain, un bruit rompit le silence et la tranquillité du saint jour ; c’était celui du trot cadencé d’un cheval. Aussitôt, ceux qui étaient enfermés chez eux, jetèrent là leur Bible, leur brochure, leurs cartes, leurs dés de parchessis, et coururent aux fenêtres, pour voir qui passait.

— Tiens ! disait l’un. C’est M. l’Inspecteur qui passe !

— Eh ! oui ! disait l’autre… Mais, où peut-il bien aller, en ce jour et par le temps ?

— Il se promène, quoi ! ripostait quelqu’un.

— Et il fait bien ! C’est assez ennuyant, à W…, le dimanche !