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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

jadis. Ha ha ha !

— Je vous remercie, M. Villemont.

— Seulement, je vous en avertis, vos lettres, une fois rédigées, n’iront pas loin. Il ne passe pas de postillons sur le Sentier de Nulle Part, le seul connu qui conduise à la Maison Grise.

— Je le suppose bien, répondit Lionel Jacques en souriant. Mais, voyez-vous, M. Ducastel ne s’est pas donné une entorse, lui, et il pourra se rendre à W…, y poster mes lettres.

— Ah ! fit l’hermite. Ah !

— Mais, sans doute ! Mon jeune ami ne demandera pas mieux que de trouver l’occasion de faire quelques petites courses à la ville, vous le pensez bien !

— Bien sûr ! Bien sûr ! dit M. Villemont… Puis-je vous demander, comme faveur, M. Jacques, de ne pas mentionner la Maison Grise dans vos lettres ?… Vous êtes malade, et ma maison vous est ouverte ; mais je ne tolérerai pas que des curieux, sous prétexte de venir s’informer de votre santé…

— Ne craignez rien, M. Villemont ! interrompit froidement Lionel Jacques. Les personnes à qui j’ai affaire à écrire ne sont nullement affligées de curiosité ; de plus, je puis vous l’assurer, ni M. Ducastel ni moi nous ne trahirons votre retraite… la nôtre aussi, pour le moment.

— Certainement, non ! promit Yvon.

— Merci, Messieurs, répondit l’hermite, en se retirant. Dans le courant de l’avant-midi Yvon entra dans la cuisine, qui lui parut déserte et il se dirigea vers la porte de sortie. Au moment où il allait s’élancer dehors, il entendit la voix de M. Villemont, qui lui disait :

— Je désire vous entretenir un moment, M. Ducastel… Mais, vous êtes pressé, peut-être ?

— Je ne suis nullement pressé, répondit notre jeune ami ; je m’en allais seulement faire faire un peu d’exercice à Presto.

— Vous sortez donc à cheval ?

— Oh ! non ! Je conduirai Presto par la bride tout simplement et je le laisserai libre de courir à sa guise.

— Vous ne craignez pas qu’il prenne la clef des champs ?… Dans ces régions désolées, inhabitées…. inhabitables même…

— Presto obéit toujours docilement à ma voix. Du moment qu’il n’est pas trop loin pour m’entendre l’appeler ou le siffler, je ne crains rien… Vous aviez à me parler ?

— Oui… Je voulais vous renouveler la mémoire, à propos de la promesse que vous m’avez faite de ne pas mentionner la Maison Grise, lors de vos excursions en ville.

— Mon Dieu. M. Villemont, est-ce bien nécessaire ?… Du moment que je vous ai donné ma parole ; vous n’avez pas le droit d’en douter, ce me semble !

— C’est bon ! C’est bon !… Voyez-vous, on fuit le monde ; ce n’est pas pour que le monde nous poursuive.

— Croyez-le, mon cher monsieur, dit Yvon d’un ton mécontent et impatienté, ce n’est ni par plaisir, ni par goût que nous sommes retenus ici, M. Jacques et moi. Aussitôt que le malade pourra supporter le trajet, je me propose de l’emmener chez moi, c’est-à-dire à ma maison de pension, à W…

— Je le sais bien…

— Mais puisque nous sommes obligés de rester ici, pour le moment, ne vous donnez donc pas tant de peine pour nous faire entendre que nous sommes des intrus dans votre maison ; nous savons très bien à quoi nous en tenir, à ce sujet, croyez-le !

Ce-disant, Yvon sortit de la maison, fermant la porte avec fracas derrière lui, ce qui amena un sourire amusé sur les lèvres de l’hermite.

Ce soir-là, vers les dix heures, quand Lionel Jacques se fut endormi, Yvon se retira dans son « boudoir », comme il appelait, en riant, l’espace qu’il s’était réservé dans leur chambre à coucher ; là où était le canapé, lui servant de lit, la nuit.

Il n’avait nullement sommeil, et il savait qu’il en avait pour au moins deux bonnes heures avant que le sommeil ne le prit ; il ne songeait donc nullement à se coucher. Mais, que ferait-il pour passer le temps ?…