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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

qui barricadait leur porte. Apercevant le jeune homme, il lui demanda, en désignant la chaise :

— Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Chut ! fit Yvon.

S’étant approché du lit, il expliqua à Lionel Jacques :

— Écoutez, fit-il, parlant bas, nous sommes enfermés à clef dans notre chambre.

— Hein ! cria presque Lionel Jacques.

— Chut ! Chut ! répéta Yvon. Voyez plutôt ! ajouta-t-il.

Il enleva doucement la chaise, puis tourna la poignée… la porte ne s’ouvrit pas.

— Ah ! dit seulement le malade.

— N’est-ce pas que c’est agréable et… rassurant de se dire qu’on est à la merci de M. Villemont, M. Jacques ? fit Yvon, d’une voix que la colère faisait trembler.

— Mais, comment as-tu découvert…

— Voici : j’ai voulu me rendre à la cuisine, hier soir, vers les dix heures, afin d’y chercher un livre ; c’est alors que je me suis aperçu que nous étions…, prisonniers, vous et moi…

— Il n’y a pas à dire, elle est, pour le moins étrange la manière d’agir de notre hôte ! s’exclama Lionel Jacques, fort mécontent, lui aussi.

— Sans compter que nous sommes pris comme des rats dans une trappe ici, puisqu’il n’y a pas d’exit à cette pièce, pour ainsi dire.

— Il y a les fenêtres. Yvon.

— Les fenêtres, M. Jacques ?…

Les avez-vous examinées ces fenêtres ?… Elles sont si étroites que c’est à peine si je parviendrais à m’y forcer un passage, seul… Jamais je ne viendrais à bout de vous faire sortir d’ici, vous, M. Jacques, malade comme vous l’êtes, si nous étions obligés de fuir devant… l’ennemi, jamais !

— Je ne crois pas que notre hôte ait des intentions malveillantes à notre égard, tu sais, mon garçon.

— Ne nous fions pas trop à lui, tout de même !

M. Villemont, vois-tu, a la lubie de jouer à l’hermite et il prend des précautions pour que sa retraite ne soit envahie par personne… Or, il se voit dans l’obligation de nous donner hospitalité et…

— Quel toqué que notre hôte, n’est-ce pas, M. Jacques ?

— Toqué ? Tu l’as dit !… Heureusement, ces toqués ne sont pas dangereux généralement, car, hors de ce qui se rapporte à leur toquade, rien ne les intéresse guère.

— Chut ! fit, pour la troisième fois, Yvon.

À pas de loup, il se dirigea vers la porte et il écouta… Il ne s’était pas trompé ; des pas se dirigeaient vers leur chambre ; ça devait être M. Villemont… ça ne pouvait être que lui… Il marchait avec d’infinies précautions, et si ce n’eut été que, dans cette vieille maison, les planchers geignaient, chaque fois qu’on posait le pied dessus, ni Yvon, ni son compagnon n’aurait eu connaissance de l’approche de leur hôte.

Un bruit… imperceptible, pour qui n’y eut pas porté attention ; la clef tournait dans la serrure de leur porte, puis cette clef était doucement retirée, après quoi les pas de tout à l’heure s’éloignèrent.

Yvon fut fortement tenté d’ouvrir la porte, de confronter M. Villemont et de lui demander ce qu’il faisait là ; mais il n’en fit rien.

Quand tout bruit eut cessé, dans le petit corridor, le jeune homme tourna la poignée et leur porte s’ouvrit. Regardant l’heure à sa montre ensuite, il constata qu’il était huit heures moins quart.

À huit heures, il s’achemina vers la cuisine, et tout se passa comme la veille. Le déjeuner n’étant pas tout à fait prêt, le jeune homme alla soigner son cheval. Comme la veille aussi, en sortant de l’écurie, il appela doucement et siffla Guido… qui, pas plus que la veille, ne répondit à son appel.

Yvon avait été fort surpris de ne pas apercevoir le collie dans la cuisine, ce matin-là, l’ayant entendu aboyer plusieurs fois durant la soirée. Il s’était, à l’avance, fait une vraie fête de retrouver la bonne bête et de la flatter en passant…

Où Guido allait-il chaque jour ?… Il était évident qu’il quittait la maison le matin, pour n’y revenir que le soir… Or, un chien n’abandonne pas son maître ainsi, tout