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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

dément devant la jeune fille, comme si elle eut pu le voir.

— Je vous connais de réputation, Monsieur, et cela depuis longtemps, fit Annette avec un sourire qui découvrit une vraie rangée de perles fines et qui creusa d’admirables fossettes dans ses joues, roses, pour le moment.

— Puis-je espérer qu’on ne m’a pas donné un trop mauvais nom alors ? demanda le jeune homme en souriant.

— C’est mon petit ami Léon qui m’a souvent parlé de vous, répondit-elle. Elle leva sur son interlocuteur de grands yeux bleus, tristes, doux et profonds et Yvon sentit ses paupières s’humecter de larmes. Aveugle !… Dire qu’elle était aveugle cette exquise jeune fille ; que ses yeux, si beaux, si expressifs, ne voyaient pas !…

— C’est la première fois que j’ai le plaisir de vous rencontrer, Mademoiselle, dit Yvon ; mais, ajouta-t-il plus bas, après s’être assuré que Léon était parti et qu’il était seul avec la jeune fille. Guido et moi nous sommes de vieux amis.

— Gui… Guido ? s’exclama-t-elle.

— Mais, oui.. Je l’ai vu, plus d’une fois… à… à la Maison Grise.

— Chut ! Oh ! S’il vous plaît ne pas mentionner ce nom ! supplia-t-elle.

— Ne craignez rien, Mlle Annette… Nous sommes seuls, vous et moi, ajouta Yvon, se rappelant tout à coup qu’elle était aveugle ; qu’elle ne pouvait savoir, conséquemment, que personne n’était témoin de leur conversation.

— C’est donc vous qui…

— Oui. C’est moi qui ai séjourné… là où vous savez, pendant plusieurs jours, avec un malade.

Des gens s’approchaient. Yvon ne dit plus rien ; il se contenta de déposer une grosse pièce blanche dans la main de l’aveugle, après quoi il continua son chemin.

Combien il eut désiré entretenir Lionel Jacques de ses expériences de la journée ! Il n’en fit rien cependant. Non, il attendrait, pour ce faire, d’en avoir obtenu permission. Car, il se proposait bien de revoir la jeune aveugle et de causer plus longuement avec elle… Il voudrait devenir son ami, un ami sincère, fidèle, sur lequel elle pourrait compter, toujours et en toutes circonstances…

Yvon le devinait, il y avait quelque chose d’infiniment dramatique dans la vie d’Annette… Pourrait-on s’en étonner, puisqu’elle demeurait sous le même toit que M. Villemont… son parent, sans doute : son oncle, ou son grand-père… Il saurait bientôt quel lien de parenté unissait cette exquise jeune fille à cet homme brutal.

Deux, jours plus tard, il retourna à W… Étant parti tard, l’Angelus du soir sonnait lorsqu’il se disposa à retourner à la Ville Blanche.

C’est un jeune homme bien déçu qui quittait W…, tout de même, car il n’avait aperçu Annette nulle part. Sous un prétexte ou un autre, il avait parcouru toute la ville sans voir celle qu’il cherchait. Il est vrai qu’il s’était bien gardé de s’informer d’elle, à qui que ce fut ; la pauvre enfant était assez affligée d’être aveugle ; il n’allait pas risquer de la compromettre peut-être, en exhibant l’intérêt qu’elle lui inspirait.

Il allait passer près du Sentier de Nulle Part, lorsqu’il aperçut, le précédant, celle qu’il avait tant cherchée ; elle était, comme toujours, accompagnée de Guido. Elle conduisait le chien par une chaîne attachée à son collier… ou plutôt, c’était le collie qui conduisait sa jeune maîtresse, sur le chemin rocailleux.

Inutile de le dire, c’est Guido qui avertit l’aveugle de l’approche d’Yvon il aboya avec tant de force, pour exprimer sa joie, qu’elle l’en réprimanda :

— Ne fais donc pas tant de bruit, Guido ! C’est un cheval qui s’en vient… je l’entends bien, et d’ailleurs, celui qui le monte ne peut manquer de nous voir, toi et moi ; il saura bien nous éviter.

Yvon sauta par terre et s’approcha de la jeune aveugle.

— Ne craignez rien, Mlle Annette, dit-il. Je suis Yvon Ducastel… celui qui a eu le plaisir de causer avec vous quelques instants, avant hier.

— Oui, je sais… ou, du moins,