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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Du moins, je puis vous mener non loin de la Maison Grise, fit Yvon. Nous prendrons par le chemin carrossable…

— Je… Je n’ose pas… balbutia-t-elle. Ô M. Ducastel, reprit-elle, vous ne connaissez pas mon aïeul… Il est terrible, dans ses colères, et s’il apprenait… s’il soupçonnait seulement…

— Il n’apprendra rien… il ne soupçonnera rien non plus, je vous le promets. Vous descendrez de voiture au Rocher Noir… Vous connaissez le Rocher Noir, n’est-ce pas ?

— Oui, je le connais. Il fait vis-à-vis au Roc du Lion Couché, quoiqu’il ne soit pas sur le même chemin. Ô ciel ! s’écria-t-elle soudain, en cachant son visage dans ses mains, car un terrible coup de tonnerre venait d’éclater.

— Allons ! Allons ! Ne tremblez pas ainsi, pauvre petite, dit Yvon. Venez ! Ma voiture est tout près d’ici, ajouta-t-il, en entraînant la jeune aveugle.

Bientôt, les deux jeunes gens étaient installés dans la voiture. Le cheval allait au pas, car il ne fallait pas qu’Annette arrivât trop tôt à la Maison Grise ; cela eut pu susciter les soupçons de M. Villemont.

Guido suivait la voiture en aboyant.

— Il y a si longtemps que je ne vous ai vue, Annette ! s’exclama Yvon, en pressant la main de la jeune fille. J’espère que, lorsque je reviendrai à W… j’aurai l’occasion de vous voir plus souvent.

— Votre congé n’expire pas encore, n’est-ce pas ?

— Non. Dans dix jours seulement… Nous nous rencontrerons souvent, lorsque je retournerai à mon bureau…

— Oui… Mais jusqu’à l’automne seulement, répondit-elle, en souriant un peu tristement. Quand les jours deviennent courts et froids, voyez-vous, M. Ducastel, je ne viens à la ville que les dimanches, pour assister à la messe ; à part de cette sortie, je reste à la Maison Grise.

— Ah ! C’est bien vrai ! s’écria-t-il… Et, pendant le long hiver, que faites-vous, que devenez-vous, Annette, là-bas, à la Maison Grise ?

— Je m’occupe un peu du ménage (je le peux, voyez-vous…). Puis, durant les longues veillées, grand-père me fait la lecture à haute voix… il m’instruit… Car c’est un érudit que mon aïeul.

— Je sais… Oui, je sais…

— Grâce à lui, je n’ai pas été élevée dans l’ignorance… comme j’aurais pu l’être…

— Voilà un bon point en faveur de M. Villemont toujours ! fit Yvon.

— Pauvre grand-père !… Il est cruel, il a des manières brusques, sans doute, dit Annette ; mais je me demande souvent si sa cruauté, sa brusquerie ne sont pas le résultat de quelque grande épreuve, de quelque drame de jadis.

— Peut-être… J’ai pensé cela moi aussi… Cependant, permettez-moi de le dire, Annette, rien ne saurait justifier la brutalité envers des êtres inoffensifs…

— Pourtant, quoique je le craigne mon grand-père, il m’inspire une sorte de pitié parfois… murmura la jeune fille.

— C’est que vous êtes un ange, Annette ! s’exclama Yvon. Moi, ajouta-t-il, je… je n’aime pas M. Villemont, ah ! mais, pas du tout… et je ne le lui ai pas fait dire, lors de mon séjour sous son toit… Mais, parlons d’autre chose… J’ai une faveur à vous demander, ma petite amie.

— Une faveur ? À moi ? Qu’est-ce donc ?

— Promettez de me l’accorder, si possibilité il y a, Annette.

— Je vous le promets, dit-elle en souriant.

— Alors, me permettez-vous de parler de vous à M. Jacques ? (Elle secoua la tête négativement). Écoutez, Annette, M. Jacques… si vous le connaissiez, vous l’aimeriez… et lui, je sais qu’il vous chérirait bien, bien tendrement… Si vous saviez quel noble cœur il possède ! Il a été un véritable père pour moi… Il m’a sauvé d’un grand danger…

— D’un grand danger, dites-vous ? D’un accident ? D’une noyade peut-être ?

— D’une noyade… oui… j’allais me noyer, en effet… balbutia le jeune homme, quand M. Jacques est venu à mon secours… Je lui dois tant de reconnaissance, voyez-