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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

bien, ma bourse est entièrement à ta disposition et…

— Il ne s’agit pas d’argent, M. Jacques. Non, ce n’est pas ainsi que je vous demanderai de m’aider.

— Comment alors ?… Et crois-tu que M. Villemont consentira à ce que tu te proposes de faire, concernant sa petite-fille ?

M. Villemont ?… Vous vous imaginez bien que je me passerai de son consentement, n’est-ce pas ?

— Dans ce cas, je t’avoue que je ne comprends rien à ton idée, mon garçon.

— J’ai pensé que… que vous inviteriez peut-être Annette, au Gîte-Riant… lorsque vous aurez fait connaissance avec elle, s’entend…

— Je comprends de moins en moins, dit Lionel Jacques, en riant.

— Vous allez comprendre… Annette n’accepterait pas mon offre de lui aider… Si c’était vous plutôt… Si elle pouvait croire que c’est vous qui allez faire venir le spécialiste et que vous payerez tous les frais, elle accepterait, sans arrière-pensée, j’en suis assuré.

— Ton idée est bonne, Yvon, je crois.

— Elle vous connaît bien… de réputation, la chère petite, car, chaque fois que j’ai causé avec elle, je lui ai parlé de vous. N’y aurait-il pas moyen d’arranger les choses pour que vous la rencontriez, M. Jacques ?

— Bien… Peut-être…

— Nous irions l’attendre, en voiture, à l’entrée du Sentier de Nulle Part, à la fourche de chemin… disons, lundi soir… C’est aujourd’hui vendredi… Qu’en dites-vous ?

— Je serais heureux de la rencontrer la pauvre petite… Oui, j’irai.

— Oh ! Que je suis content ! s’exclama Yvon.

— Lundi donc, c’est entendu !

— Dieu vous bénisse pour votre bonté, M. Jacques !

— Mais, Yvon, ces rencontres, entre toi et Annette, fit Lionel Jacques en hésitant un peu.

— Eh ! bien ?

— Ne constituent-elles pas un certain danger… pour tous deux ?

— Un danger ? Que voulez-vous dire ?

— Elle est aveugle, mon jeune ami… Lorsque le temps sera venu, pour toi, de te choisir une compagne pour la vie, de te marier, en un mot, tu ne songeras certes pas à épouser cette pauvre affligée… Elle en souffrira… Tu souffriras toi-même de lui briser le cœur peut-être… Car, elle va s’attacher à toi, nécessairement…

— Mais, M. Jacques…

— Vraiment, cette enfant est assez malheureuse d’être aveugle ; il ne faut pas que tu lui brises le cœur… par-dessus le marché.

— Mon Dieu, M. Jacques, fit Yvon, fort étonné assurément de cette tirade de la part de son ami, je n’avais pas du tout songé à ce que vous venez de dire… Nous sommes de bons amis seulement, Annette et moi, et, ciel ! personne au monde n’a plus besoin d’un peu d’amitié dévouée que la pauvre petite… C’est pourquoi je tiens tant à ce que vous la rencontriez. Vous allez tant l’aimer !… Et elle donc ! Elle vous rendra votre affection, au centuple, je le sais !

Lionel Jacques ne répondit pas. À quoi bon ? Le mal (si on pouvait appeler un mal les sentiments d’Yvon envers la jeune aveugle, et vice versa probablement) était déjà fait, sans doute… Il était trop tard évidemment, pour arrêter le flot qui entraînait les deux jeunes gens… Oui, trop tard !…

Le lundi soir suivant, ainsi qu’il avait été convenu entr’eux, les deux hommes, quittaient la Ville Blanche, en voiture, et se dirigeaient vers l’entrée du Sentier de Nulle Part…

Bientôt, Annette, l’aveugle, compterait un ami de plus… et quel ami !


Chapitre VII

PEU SYMPATHIQUE


Yvon Ducastel voyait son désir s’accomplir, son rêve se réaliser : Annette était au Gîte-Riant, l’invitée de Lionel Jacques, et elle allait y passer toute la journée.

Dès sept heures, ce matin-là, Yvon avait attendu la jeune aveugle, à l’entrée du Sentier de Nulle Part. Certes, il eut de beaucoup