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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

blic ? s’écrièrent les deux hommes ensemble.

— Croyez-le, mes amis, je sais ce que je dis assura le curé… Je n’accepterais pas l’argent qu’on prélèverait ainsi…

— Sans doute, vous allez expliquer… commença Yvon, qui était pâle jusqu’aux lèvres.

— Mon jeune ami, je ne peux que vous répondre une chose, interrompit le prêtre ; c’est que j’ai de graves raisons pour parler ainsi que je le fais.

— Vous devez, en effet avoir des raisons… que je serais curieux de connaître ! s’exclama Yvon d’une voix tremblante. Mlle  Villemont

— Je… Je ne comprends pas… balbutia Lionel Jacques en s’adressant au curé. Je croyais que ce projet de concert vous irait comme un gant, M. l’abbé, reprit-il en souriant.

— Le concert… oui… Qu’Yvon et Mme Foulon en organisent un et je leur en serai fort reconnaissant… Mais, Mlle Villemont… je m’oppose à ce qu’elle y collabore… Que ce soit entendu entre nous !

— Pourquoi haïssez-vous tant cette jeune aveugle. M. le Curé ? demanda Yvon, dont les yeux lançaient des flammes.

Doucement, le prêtre répondit :

— Mon fils, je ne hais personne : Dieu m’en garde !… La haine du prochain s’accorderait mal avec mon caractère sacerdotal… Ma mission ici-bas doit être toute de bonté, de charité et d’amour pour le prochain, n’est-ce pas ?… Mlle Villemont… je suis loin de la haïr… Au contraire, je la plains excessivement…

— Ça se voit ! s’écria le jeune homme, ne se possédant plus vraiment.

— Yvon ! ne put s’empêcher de réprimander Lionel Jacques, car il vit bien que, dans sa colère, il oubliait à qui il parlait.

— Laissez faire, répliqua le prêtre en souriant tristement et en s’adressant à Lionel Jacques.

C’est qu’il avait lu dans le cœur du jeune homme et il savait à quoi s’en tenir sur les sentiments que lui inspirait Annette.

— Pourtant, M. le Curé…

— Yvon, fit le prêtre, si je pouvais vous donner des explications, je le ferais…

— Que je déteste les mystères ! s’exclama Yvon en se levant avec un grand bruit de chaise repoussée et quittant précipitamment la bibliothèque où venait d’avoir lieu cette conversation.

Lorsque le jeune homme les eut quittés, le curé eut un geste à la fois découragé et désolé, puis il dit à Lionel Jacques :

— Je le crains je viens de me faire un ennemi… Yvon ne me pardonnera jamais… Mais, je le répète, j’ai de bien graves raisons pour agir ainsi que je le fais, à propos de Mlle Villemont.

— Je le crois sans peine, M. le Curé. Vous êtes charitable et bon…

— Si jamais je considère que je suis libre de vous expliquer ma manière d’agir envers cette jeune fille, je le ferai… et alors, vous comprendrez, dit le prêtre, en se levant pour partir. En attendant, ayez confiance en moi, mon ami, je vous prie, et essayez de faire revenir Yvon à de meilleurs sentiments à mon égard, si possible.

Ça ne sera pas chose facile, probablement, répondit en souriant Lionel Jacques ; mais je puis toujours essayer.

Durant la nuit précédant son départ du Gîte-Riant, Yvon entendit, encore une fois, des sanglots, des soupirs et des chuchotements mystérieux. Il se rendit dans la chambre de son hôte, avec l’intention de l’éveiller ; mais celui-ci ne dormait pas.

— Vous avez entendu, M. Jacques ? avait demandé le jeune homme. Ces sanglots… ces soupirs… ces chuchotements surnaturels… Qu’est-ce que cela veut dire ?

— Oui. J’entends bien, Yvon… mais je ne peux pas t’expliquer ce que cela veut dire… Ça arrive assez souvent d’ailleurs…

— Moi, c’est la deuxième fois que je les entends… Comment pouvez-vous endurer cela, M. Jacques ?

— Que veux-tu que j’y fasse, mon garçon ?

— Ma foi ! Je… je m’en irais d’ici, à votre place.

Lionel Jacques haussa les épaules.

— Pourquoi ? Pourquoi partirais-je, je veux dire ? Des sanglots… et choses de ce genre, ça n’a jamais