Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

ment chez les Francœur, en arrivant à la ville ; de là, elle se rendrait au Gîte-Riant. Le baptême n’aurait lieu qu’à une heure de l’après-midi.

Mme Francœur était dans la joie ; elle se prenait de petits airs importants depuis quelques jours, chaque fois qu’on parlait devant elle de la fête qui se préparait. C’est qu’elle avait été demandée « par M. Jacques lui-même, s’il vous plait » de surveiller les préparatifs pour le grand dîner qui serait donné immédiatement après le baptême. Certes, Catherine confectionnait d’excellents repas ; mais quand il s’agissait de « fanfreluches », comme elle le disait, elle préférait céder le pas à plus habile qu’elle. Or, la maîtresse de pension était un véritable cordon bleu et elle avait promis de s’occuper de tous les détails.

Deux fois déjà, Mme Francœur était allée au Gîte-Riant ; elle allait y retourner et y passer toute la journée. Elle et Annette se mettaient en route à dix heures précises ; Yvon les conduirait en voiture, car il avait pris congé, ce jour-là ; l’ouvrage du bureau serait fait par le secrétaire.

Lorsque la jeune aveugle parut dans le salon, quelques instants avant leur départ, Yvon ne put retenir un cri d’admiration. C’est qu’elle était bien belle, bien belle, dans son joli costume brun ! La nuance foncée de l’étoffe faisait ressortir vivement la blancheur de son teint, l’or de ses cheveux, l’azur de ses yeux.

— Annette ! ne put s’empêcher de s’écrier le jeune homme. Ô Annette !

— Vous aimez ce costume, n’est-ce pas, M. Yvon ? demanda-t-elle en souriant. C’est un cadeau de Mme Francœur ; c’est elle qui l’a choisi pour moi.

— Des félicitations lui sont dues alors, répliqua Yvon. Ce costume vous sied à merveille ! De ce qu’on va m’envier ma commère ! s’exclama-t-il, affectant une gaité qu’il ne ressentait certes pas, si on pouvait en juger par la pâleur de son visage.

— Et, sans doute, les jeunes filles de la Ville Blanche vont, aussi m’envier mon compère ! fit Annette en souriant.

— Oh ! Je n’aurai pas grand’chance auprès des jeunes filles présentes, M. Jacques étant là, dit notre héros d’une voix qui tremblait malgré lui. M. Jacques est un puissant rival, contre lequel un pauvre diable comme moi essayerait vainement de lutter.

M. Jacques, dites-vous ? s’écria Annette d’un air étonné. Mais… M. Jacques n’est…

Yvon pâlit davantage… Il comprenait si bien, lui semblait-il, ce que voulait dire la jeune aveugle : M. Jacques n’était plus libre de conter fleurette à qui que ce fut, puisqu’il était fiancé !

Mais Mme Francœur, radieuse en costume gris-ardoise, arrivait dans le salon et le jeune homme dut se taire et remettre à plus tard les questions qu’allait poser la jeune aveugle.

Lionel Jacques les attendait sur sa véranda et il accourut au-devant d’eux lorsqu’ils arrivèrent.

Du coin de l’œil, Yvon surveilla la rencontre entre la jeune aveugle et le propriétaire du Gîte-Riant : il vît leurs visages s’illuminer ; il vit Lionel Jacques presser Annette sur son cœur et déposer un baiser sur son front ; il vit aussi celle qu’il aimait entourer de ses bras le cou de son… fiancé, et il l’entendit qui murmurait :

M. Jacques… Cher M. Jacques !…

— Annette ! Chère, chère enfant !

Notre ami était blanc comme de la chaux ; il se demandait comment un être humain pouvait endurer un martyre tel que celui qu’il endurait et n’en pas mourir. Brusquement, il tourna sur son talon et monta les marches conduisant à la maison.

Catherine vint chercher Annette pour la conduire à sa chambre ; cette chambre, se disait Yvon en soupirant, qui contenait les riches toilettes, les splendides joyaux destinés à la future Madame Jacques…

Mme Francœur avait déjà pris possession de la cuisine et de la salle à manger ; si ça dépendait d’elle, le dîner serait exquis et le service excellent.

À midi, un léger lunch fut servi dans la bibliothèque, puis on partit