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L’OMBRE DU BEFFROI

partez-vous déjà, Mlle Yprès ? demanda Henri, voyant Ondine ramasser un petit panier, après s’être recouverte d’une longue mante de couleur foncée.

— Mais oui, M. Fauvet, je pars ! répondit-elle, en riant gaiement. De ce que je me nomme Ondine, il ne s’en suit pas que je flotte continuellement sur le sein des ondes, ou que j’habite quelque grotte, dans le fond de la rivière.

Et tous deux rirent, comme des enfants joyeux.

— Puisque nous prenons la même direction, vous et moi, ne me permettrez-vous pas de faire route avec vous ? demanda le jeune homme.

— Je n’ai pas d’objections, répondit-elle.

Cette rencontre fut le prélude de plusieurs autres, et bientôt, Henri Fauvet sut tout ce qui concernait cette jeune fille, qu’il aimait follement.

Ondine avait dix-huit ans. Elle était orpheline de père et de mère. Son père était mort, alors qu’elle n’avait que douze ans, sa mère était morte, il y avait maintenant trois ans. L’orpheline demeurait avec une servante ayant nom Febro. Non, Febro n’était pas âgée ; elle dépassait à peine trente ans, mais, depuis l’âge de quinze ans qu’elle était en service chez les Yprès, on la considérait presque comme un membre de la famille. Ondine eut été seule au monde, sans Febro, qui l’aimait si tendrement. Ondine n’avait que trois ans, quand Febro était entrée comme servante chez les Yprès ; elle s’était attachée à cette enfant, et il n’est pas d’acte de dévouement au monde devant lequel elle eut reculé, pour rendre service à sa chère Mademoiselle Ondine.

Eh bien ! ce qui devait arriver arriva : quand Émile Archer et Dolor Lecoupret parlèrent de retourner à Québec, l’expédition étant terminée, Henri Fauvet s’excusa de ne pouvoir les suivre : il était fiancé avec Ondine Yprès et il retournerait chez lui accompagnée de sa bien-aimée.

Cinq semaines après le départ de ses amis, Henri épousait Ondine, et tous deux partaient pour la ville de Québec, car, dans une des banlieues de cette ville, Henri Fauvet possédait une jolie propriété. Inutile de dire que V. P. n’avait pas quitté son jeune maître.

Febro avait beaucoup pleuré en voyant partir sa chère petite Mademoiselle Ondine. Certes, Henri lui avait suggéré, à Febro, de les accompagner ; mais elle allait se marier, elle aussi ; pas tout de suite, mais dans un an et elle ne pouvait s’éloigner des environs. Ondine fit donc à la fidèle servante donation de sa maison, ce qui ravit le cœur de Febro, puis, un soir, les nouveaux mariés quittaient le district du Nipissingue, mais non sans espoir d’y revenir bientôt.


CHAPITRE III

un malheur


Il eut été difficile de trouver, de par le monde, deux être plus heureux que Henri Fauvet et Ondine, sa femme. Installés confortablement dans une des banlieues de Québec, possédant, non la fortune, mais une confortable aisance, leur sort paraissait très enviable ; il l’était aussi.

Tout d’abord, Henri avait craint que sa jeune femme s’ennuyât dans son nouveau milieu, mais il n’en fut rien. Non pas qu’Ondine ne pensât fort souvent à son chez elle, là-bas, dans le nord d’Ontario et aussi à la bonne Febro ; mais, une des amies de la mère de Henri Fauvet avait entrepris de faire faire des connaissances à la nouvelle mariée et de l’amuser.

Mme de Bienencour (tel était le nom de la nouvelle amie d’Ondine) avait tout de suite aimé la jeune femme et elle l’avait prise, en quelque sorte, sous son aile ; ce dont Henri lui était bien reconnaissant, car, étant obligé de s’absenter souvent et pour assez longtemps parfois, à cause de sa profession, il était content de pouvoir laisser sa chérie sous la protection de cette bonne et aimable Mme de Bienencour.

La résidence des Fauvet avait nom : Le Nid. La domesticité se composait de V. P., d’une cuisinière ayant nom Pétronille, et d’une fille de chambre, du nom de Rose. Rose, durant les quelques mois déjà qu’elle était au Nid, se montrait pleine de dévouement envers ses maîtres ; elle aimait et admirait Ondine, et la servait en conséquence.

Le Nid était donc un foyer idéal, et tout promettait des jours paisibles et heureux, à jamais. Hélas ! le malheur voulut que, certain soir, Ondine qui avait veillé tard chez Mme de Bienencour et était revenue chez elle dans la voiture de son amie, prit froid. Elle eut une attaque de névralgie dans la tête. Henri, voyant souffrir sa femme, fit venir un médecin. Il n’y avait pas de médecin attitré, au Nid, et V. P. alla frapper chez celui qui demeurait le plus près.

Le médecin, en voyant que celle pour laquelle on l’avait fait venir souffrait un véritable martyre, prépara immédiatement une prescription et donna à V. P. l’ordre de courir à une pharmacie la faire remplir.

Quand le domestique revint, apportant une fiole remplie d’un liquide blanchâtre, le médecin en administra une dose à la malade, puis il dit :

— M. Fauvet, je viens de faire prendre à la malade une dose de morphine ; bientôt, elle ne souffrira plus et elle dormira.

— Tant mieux, alors ! répondit Henri.

— La morphine est une chose dont il ne faut pas abuser cependant, reprit le médecin ; si Mme Fauvet ressentait encore de grandes douleurs, dans le courant de la nuit, il vaudrait mieux essayer de la soulager autrement qu’en lui administrant de la morphine. Je reviendrai, demain avant-midi. J’espère que la malade passera une assez bonne nuit. Voyez : elle souffre moins déjà !

Le lendemain matin, quand revint le médecin, Mme de Bienencour était dans la chambre à coucher d’Ondine. Or, celle-ci paraissait souffrir horriblement.

— Mon Dieu, Docteur Nippon, s’écria Mme de Bienencour, en apercevant le médecin, ne pouvez-vous rien pour soulager cette pauvre enfant ?… Elle souffre le martyre !

Mme de Bienencour ! fit le Docteur Nippon, en s’inclinant. Oui, Madame, ajouta-t-il, je vais soulager immédiatement Mme Fauvet, en lui administrant une dose de morphine… Je vous avouerai pourtant que je n’administre la morphine à mes malades que quand j’y suis forcé.