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quand il eut glissé le testament entre les oreillers.

— Ce testament est le seul valable, le seul ! dit M. de Vilnoble, d’une voix très-affaiblie, une pâleur mortelle recouvrant ses joues. Le seul valable, reprit-il ; souvenez-vous en tous !

Le notaire prit son chapeau et se dirigea vers la porte de sortie. Son visage, quand il quitta la chambre, était effrayant à voir, tant il exprimait de colère et de haine : cette expression, Roxane seule la vit.

Le malade semblait avoir épuisé ses dernières forces en dictant son testament, car il retomba, haletant, sur ses oreillers, et une respiration très irrégulière s’échappait de sa bouche.

— Mademoiselle, dit Adrien à Roxane, je vais vous conduire à la chambre mauve, que, sur l’ordre de M. de Vilnoble, j’ai préparée pour vous. Vous devez être épuisée de fatigue, Mademoiselle ! Sur un guéridon, près de votre lit, vous trouverez des biscuits et du vin…

— Mais… M. de Vilnoble ?… Allez-vous le laisser seul tandis que vous me conduirez à ma chambre ? s’écria Roxane.

— Pour quelques instants seulement. Il m’a donné l’ordre de pourvoir à votre confort et à vos besoins, Mademoiselle ; je dois lui obéir. Mon pauvre maître, voyez ; il dort profondément en ce moment. Veuillez me suivre s’il vous plait, Mademoiselle !

Comme il quittait Roxane à la porte de la chambre mauve, Adrien dit, parlant bas :

— Mademoiselle, le notaire Champvert est très désappointé, concernant le testament de mon maître : Voyez-vous, il courtise Mlle Yseult, la nièce de M. de Vilnoble, et quoique celle-ci n’ait pas l’air d’aimer beaucoup M. Champvert, le notaire avait espéré, jusqu’à tout à l’heure, se faire agréer de Mlle Yseult, et de devenir possesseur, en même temps, de la fortune de M. de Vilnoble.

— Ah ! fit Roxane. C’est donc pour cela qu’il avait un air si… singulier, ce personnage ! Le notaire Champvert me parait être un assez triste sire, Adrien !

— M. de Vilnoble n’a pas confiance en lui. (vous avez dû vous en apercevoir, Mademoiselle), mais, M. Champvert est le seul notaire des environs.

— C’est un individu d’aspect assez sinistre, je l’admets, approuva Roxane. Chose singulière, la première fois que j’ai entendu la voix de M. Champvert, tout à l’heure, il m’a semblé que je ne l’entendais pas pour la première fois. Pourtant…

— Mademoiselle, dit Adrien, d’une voix émue, je ne suis qu’un humble domestique, il est vrai, mais, de tout cœur je le dis : Dieu vous bénisse pour le bien que vous avez fait cette nuit !… M. Hugues, voyez-vous, Mademoiselle, je l’aime tant… comme s’il était mon fils !… Et des larmes coulèrent sur les joues du fidèle serviteur.

À peine Roxane eut-elle posé la tête sur son oreiller qu’elle s’endormit d’un profond sommeil. Mais elle ne dormit pas longtemps, car il pouvait être trois heures du matin, quand elle s’éveilla subitement : la maison semblait être remplie de bruits de toutes sortes ; la jeune fille entendit des pas pressés, des portes refermées brusquement, des chuchotements, puis une voix de femme qui criait : « Mon Dieu » !


CHAPITRE VII

DRAME MUET


Quand le notaire Champvert quitta la chambre à coucher de M. de Vilnoble, il n’alla pas loin ; il se dirigea vers l’étude du malade.

Au fond de l’étude était une armoire, dans laquelle étaient des papiers, tels que comptes, reçus, etc. Le notaire se faufila dans cette armoire, dont il laissa la porte entr’ouverte. De sa cachette, il put entendre Adrien proposer à Roxane de la conduire à la chambre mauve, puis quand lui parvint le bruit des pas de la jeune fille et du domestique, s’éloignant dans le corridor, il sortit de l’armoire et se dirigea du côté de la chambre de M. de Vilnoble.

— Il dort ! murmura-t-il, quand, du seuil de la porte, il eut écouté la respiration du moribond. Ce testament, il me le faut ! Vais-je laisser déshériter Yseult, me laisser déshériter moi-même, conséquemment ?… Car malgré sa froideur, je sais qu’Yseult sera ma femme un jour, bientôt même ; oui, bientôt.

Retenant son souffle, le notaire s’approcha du lit.

— Je ne crois pas qu’il s’éveille de ce sommeil, se dit-il ; s’il s’éveille, ce sera dans l’autre monde… Allons ! Emparons-nous du testament et filons au plus vite ! Adrien ne sera pas longtemps absent.

Les yeux fixés sur le visage du malade, le notaire glissa son bras sous un des oreillers ; mais le papier qu’il cherchait n’y était pas.

— Voyons, ne nous énervons pas !… se dit-il. Il y a quatre oreillers… Sous lequel le testament a-t-il été mis ?… La seule chose à faire, c’est d’essayer sous le deuxième maintenant… Si le vieux peut ne pas s’éveiller, au moins, et si Adrien… Adrien ; voilà le hic ! Mais, s’il devenait embarrassant, celui-là, il me faudrait employer les grands moyens pour me débarrasser de lui.

Des pas s’approchaient de la chambre : c’était Adrien qui revenait auprès de son maître.

— Malédiction ! gronda le notaire.

D’un coup d’œil, il inspecta la chambre et il aperçut, dans un coin, un écran.

— Voilà mon affaire ! se dit-il.

Sur la pointe des pieds et à la course, il se dirigea vers l’écran. À peine eut-il le temps de s’y cacher, qu’Adrien entrait dans la chambre. Le domestique s’approcha du lit et considéra son maître.

— Pauvre M. de Vilnoble ! Mon cher, cher maître ! murmura-t-il, tandis que ses yeux s’emplissaient de larmes. Il dort bien profondément, ajouta-t-il tout haut. J’aurais le temps d’aller enlever la selle à Jupiter, avant que M. de Vilnoble s’éveille, je crois.

Jetant les yeux autour de lui pour s’assurer que tout était en ordre, Adrien sortit.

— Oui, va, mon vieux ! ricana le notaire. Va enlever la selle à Jupiter ; moi, pendant ce temps, j’enlèverai le testament à M. de Vilnoble. Hé hé hé !

S’étant assuré que les pas d’Adrien s’éloi-