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CHAPITRE XI

LA JOIE DU RETOUR


Aussitôt que Bianco eut mis le pied sur le madrier du pont qui faisait résonner le timbre dans la salle des Barrières-de-Péage, Belzimir accourut au-devant de Roxane, suivi de Bruno, qui aboyait joyeusement. Belzimir avait été très inquiet au sujet de sa jeune maîtresse et il ne sentait tout réjoui de la revoir saine et sauve.

— Dieu merci, vous voilà, Mlle Roxane ! s’écria-t-il, en saisissant la bride de Bianco et marchant à côté du cheval. J’ai été si inquiet !

— Le blessé, comment est-il ? demanda la jeune fille.

— Mal, Mlle Roxane ! Il paraît avoir beaucoup de fièvre, et il parle, il parle…

Au moment où Roxane descendait de cheval, Rita sortait de la maison.

— Ô Roxane ! s’écria la petite infirme. Que je suis contente que tu sois revenue !

— Petite sœur chérie ! dit Roxane.

— Quand j’ai su que tu étais partie, ce matin, en m’éveillant, reprit Rita, j’étais inquiète, oh ! tant !… Et ce monsieur qui est malade ; lui aussi, il est inquiet à ton sujet, même dans ses crises de délire.

— Inquiet ! Que veux-tu dire, Rita ?

— Je veux dire, Roxane, qu’il prononce ton nom sans cesse… « Mademoiselle Roxane… dit-il, à chaque instant. J’ai oublié de lui dire… La Forêt des Abîmes… Le Sentier de la Mort… » C’est affreux de l’entendre, grande sœur, et moi, ça me fait pleurer !

Comme pour prouver ce qu’elle disait, Rita se mit à pleurer tout bas.

— Ne pleure pas, petite Rita ! dit Roxane. Viens avec moi plutôt. Mais nous entrerons à la maison par la porte de cuisine… Je t’ai apporté un cadeau, un cadeau qui te fera plaisir. Viens !

Ce disant, Roxane s’empara d’une boîte trouée, qu’elle avait déposée par terre, puis elle et Rita entrèrent dans la maison. Déposant sur une table la petite caisse, Roxane en fit sauter le couvercle et aussitôt, tel que d’une boîte de surprise, il en sortit un petit lapin tout blanc, aux yeux de corail… un lapin vivant, par exemple.

— Oh ! Oh ! Oh ! s’exclama Rita, en battant des mains, tant sa joie était grande. Tu me le donnes, Roxane, ce beau petit lapin blanc ? Il est à moi, à moi ?

— Certainement, mignonne, il est à toi. Je l’ai acheté à un ranch, en passant. Je sais que depuis longtemps, tu désires posséder un petit lapin blanc, vois-tu. Belzimir lui fera un appartement, dans l’étable.

— Je l’apprivoiserai ; je l’accoutumerai à venir manger dans mes mains. Roxane, j’aimerais à nommer mon petit lapin « Zitka », comme Mme de St-Éloi, la grand’mère de ton amie de cœur Lucie. Mais, non, car ça ne serait pas respectueux envers Mme de St-Éloi, hein ?… Je vais l’appeler « Zit ». Qu’en dis-tu, Roxane ?

— Bien sûr ! consentit Roxane. Zit, c’est un joli nom pour un lapin, je trouve, Rita. Maintenant, ma chérie, je vais aller jeter un coup d’œil sur le monsieur qui est malade, puis je viendrai déjeuner, car j’ai bien faim.

Hugues de Vilnoble était, en effet, en proie à la fièvre et au délire. Quand Roxane se pencha sur le canapé où il était couché, le blessé ouvrit grands les yeux et regardant fixement la jeune fille, il dit :

— Madame connaissez-vous Mlle Roxane ?… Elle est partie, vous savez ; elle est allée aux Peupliers, chez mon père, qui se meurt…

— Cher M. Hugues ! commença Roxane.

— Partez ! reprit le malade. Essayez de la rejoindre !… J’ai oublié de lui dire de se défier de Bianco… La Forêt des Abîmes… Le cheval est sûr de prendre le Sentier de la Mort, et Mlle Roxane… Sauvez-la ! Sauvez-la ! cria-t-il, en saisissant les mains de la jeune fille et les serrant à les briser. La Forêt des Abîmes… Le Sentier de la Mort…

Il n’y avait rien à faire, hélas, avant l’arrivée du médecin. Le Docteur Philibert viendrait sûrement cet avant-midi, et quel soulagement de pouvoir prendre conseil de lui !

— La Forêt des Abîmes… Le Sentier de la Mort… continuait à balbutier Hugues de Vilnoble.

Roxane savait, depuis au-delà d’une heure, le nom de ce bois qu’elle avait traversé, et celui de ce sentier entre les deux abîmes.

En sortant de la Forêt des Abîmes, la jeune fille était tellement épuisée, après les terribles dangers qu’elle venait de courir, qu’elle avait peine à se tenir en selle. Bianco, lui aussi, était épuisé, car il allait à petits pas et il soufflait très fort.

Il y avait à peu près une demi-heure qu’on cheminait sur la grande route, quand Roxane aperçut la rivière des Cris, qui coulait parallèlement au chemin. Bianco devait avoir soif ; la jeune écuyère dirigea donc sa monture du côté de la rivière.

Bianco avait soif, bien soif, et il but à longs traits. Quand il se fut désaltéré, il se mit à brouter l’herbe verte et souple qui croissait sur les bords de la rivière des Cris.

Roxane descendit de cheval, et sûre que Bianco n’abuserait pas de sa liberté, elle le laissa manger en paix. S’asseyant sur l’herbe, le dos appuyé à un rocher, elle se reposait de ses fatigues, quand elle entendit le pas cadencé d’un cheval, puis arriva un cavalier, se dirigeant, lui aussi, vers la rivière. C’était un homme âgé. Il salua Roxane, comme c’était l’habitude dans la Saskatchewan, et il dit, en s’épongeant le front avec son mouchoir :

— Il fait bien chaud, n’est-ce pas, Madame ?

— Oui, répondit Roxane. Et ce sera pire que cela quand le soleil aura pris de la force, tout à l’heure.

— Venez-vous de loin ? demanda l’étranger.

— Je retourne chez moi, aux Barrières-de-Péage, répondit indirectement Roxane. Je suis la gardienne des barrières.

— Ah ! Mlle Monthy, n’est-ce pas ? J’ai bien connu votre père, Mademoiselle. Quel brave homme que Philippe Monthy !