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Mais les inquiétudes de Roxane semblaient être mal fondées, car le lendemain, vers les onze heures de l’avant-midi, le notaire Champvert arriva à la tête du pont de la barrière de péage. Il était à cheval. Sans doute, il venait voir Hugues de Vilnoble pour lui annoncer qu’il était l’héritier de son père. Bruno, qui était couché dans la salle d’entrée, sembla ressentir une grande colère, aussitôt que le cheval du notaire posa le pied sur le premier madrier du pont, car il aboya avec fureur et voulut s’élancer dehors.

C’est Belzimir qui reçut le péage de Champvert, qui passa sur le pont sans s’arrêter, au grand étonnement de Roxane.

Aussitôt que le notaire eut disparu, Belzimir entra dans la salle et dit à Roxane :

Mlle Roxane, avez-vous reconnu cet homme qui vient de passer la barrière ?

— Mais… commença la jeune fille…

— Bruno l’a reconnu, bien sûr ! reprit le serviteur. Cet individu c’est celui qui est passé sur le pont le soir de l’accident de M. de Vilnoble, et qui a refusé de nous aider à transporter le blessé jusqu’à la maison.

— En es-tu sûr, Belzimir ?

— Sûr. Eh ! oui, Mlle Roxane. Et, Dieu me pardonne si je me trompe, mais je crois sincèrement que c’est ce personnage qui avait roulé sur le chemin des pierres qui ont fait buter Bianco.

Il était quatre heures de l’après-midi quand le notaire passa, de nouveau, la barrière ; il retournait chez lui, évidemment. Le temps étant splendide, Roxane et Hugues étaient assis dans le parterre. Hugues lisait tout haut, tandis que Roxane brodait. Rita, couchée dans un hamac, dormait.

Aussitôt que le cheval de Champvert eut mis le pied sur le pont, la jeune gardienne des barrières se leva, pour faire la collecte du prix de passage. Le notaire, sans même arrêter son cheval, qui allait au petit trot, jeta aux pieds de Roxane une pièce de monnaie. Mais, voilà que son cheval est saisi par la bride et que la voix de Hugues, tremblante de colère, dit :

— Monsieur, descendez de cheval, ramassez cette pièce de monnaie, et remettez-la poliment (poliment, entendez-vous) ! à cette demoiselle.

— Lâchez la bride de mon cheval ! cria Champvert.

Au son de cette voix, Bruno, qui était couché près du hamac, arriva en aboyant.

— Descendez de cheval à l’instant, et faites ce que je vous ai dit ! répéta Hugues.

Champvert saisit son fouet, et il se disposait à l’appliquer sur le visage de Hugues, quand celui-ci s’en saisit.

— Si vous ne faites pas ce que je vous commande, fit Hugues, je vous donnerai la volée et si ça ne suffit pas, Bruno, le chien, ne demande qu’à vous donner une… inoubliable leçon ; voyez plutôt !

Bruno montrait toutes ses dents et il grondait d’une façon peu rassurante.

Le notaire dut donc descendre de cheval. Il ramassa la pièce de monnaie et la remit à Roxane, avec une inclination de tête, que Hugues trouva insultante, tant elle était exagérée.

— Faites vos excuses à Mlle Monthy ! dit Hugues à Champvert.

Champvert sembla hésiter à obéir, ce que voyant, Hugues le saisit au collet et le secoua comme on ferait d’un chien.

— Faites vos excuses, entendez-vous, sinistre voyou ! Et cessez de sourire ainsi, ou je lance le chien sur vous !

M. Hugues de Vilnoble, dit le Notaire Champvert, quand il se fut soumis aux exigences de Hugues, vous avez la haute main aujourd’hui ; mais, ne l’oubliez pas : rira bien qui rira le dernier !

Puis, ayant fouetté son cheval, l’aimable personnage prit la route de l’ouest… Mais Roxane fut étreinte soudain d’un funeste pressentiment.


CHAPITRE XV

HUGUES ET ROXANE


Il y avait près de trois semaines que Hugues de Vilnoble était aux Barrières-de-Péage, et quoiqu’il n’eût pu encore se tenir en selle, son pied ne le faisait presque plus souffrir. Il pouvait marcher maintenant sans l’aide de Belzimir, et bientôt, il allait pouvoir se passer d’une canne. Si tout continuait à bien aller, il espérait pouvoir se rendre aux Peupliers à la fin de la semaine suivante.

En attendant, Hugues se trouvait très heureux aux Barrières-de-Péage, où on l’entourait de soins constants. Rita aimait Hugues follement ; il faut dire aussi que ce dernier comblait de gâteries la petite infirme. Il avait fait plus d’une promenade en voiture avec elle et aussi plus d’une excursion avec les deux sœurs sur la rivière des Cris.

Et Roxane ?… Ah ! Roxane, pour Hugues c’était la personnification de la perfection. Combien il l’admirait, combien il l’aimait cette jeune fille, et avec quelle joie il saisirait la première occasion qui se présenterait pour lui faire connaître les sentiments de son cœur.

L’occasion se présenta pour Hugues de parler à Roxane, certain jour où l’on fit une excursion sur la rivière des Cris, à la ferme Monthy. C’était un mardi, et Belzimir ayant pris la garde de la barrière, Roxane, Rita et Hugues organisèrent un pique-nique à Mon Refuge. Ils partirent vers les trois heures de l’après-midi, apportant un panier de provisions, car on souperait en plein air. Hugues maniait les avirons et Roxane le gouvernail. Arrivés à Mon Refuge, on y laissa les provisions, puis on alla se promener dans le bois. Rita s’étendit sous un pommier et bientôt elle s’endormit. Hugues, après avoir recouvert l’enfant d’un léger manteau, se dirigea vers le nord de la rivière, où se tenait Roxane.

Mlle Roxane, dit Hugues, je vais commencer à penser sérieusement à m’en aller aux Peupliers. Je serai bientôt tout à fait guéri et capable de me tenir en selle… Mlle Roxane, reprit-il, penserez-vous à moi quelque fois, quand je serai parti ?

— Oui, M. de Vilnoble, répondit Roxane, en rougissant un peu. Rita et moi nous nous entretiendrons souvent de vous… Et, M. Hu-