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Mais Gretchen était déjà partie, et bientôt, Silverstien la perdit de vue à un détour du chemin.

Trois quarts d’heure plus tard, Roxane se préparait à se mettre au lit. Tout en se déshabillant, elle monologuait ainsi :

— Quel succès j’ai eu !… Ce cher M. Silverstien, je suis sûre qu’il ne manquera pas d’être à son rendez-vous avec « la douce Gretchen » demain soir. Je bénis l’inspiration que j’ai eue d’apporter cette perruque blonde avec moi au Peupliers ; je l’ai trouvée dans une de mes malles, et je me souviens que j’avais fait venir cette tignasse, il y a deux ans, pour jouer un extrait de l’opéra Faust, à la fête de mon père… Ô mon pauvre cher père si vous me voyez, en ce moment, du haut du ciel, veillez sur moi !… Les risques que je cours sont si grands que j’ai besoin du secours d’En-Haut… Quant au testament, hélas ! je sais où il est, et même, je crois connaître la combinaison du coffre-fort, mais M. Champvert vit littéralement dans son étude, depuis l’arrivée du juif allemand ici. Sans doute, il veut fuir, ainsi la société de ce bon Silverstien… Mais, je ne désespère pas… On m’a dit que M. Champvert devait s’absenter, dans quelques jours, afin de visiter ses propriétés (ou plutôt, celles de sa femme… non, celles de Hugues) sur le bord du lac à l’Ours ; je profiterai de son absence des Peupliers pour m’emparer du testament… C’est dans ce but que je suis venue ici, que je me suis séparée de Rita… En attendant, je travaille pour le bonheur de Lucie. Ce petit papier bleu… je me donne huit jours pour l’enlever à M. Silverstien ; dans les entr’actes, peut-être pourrai-je trancher l’affaire du testament… Alors, en route pour les Barrières-de-Péage, où est ce qui m’est le plus cher au monde… après Hugues, s’entend. Cher, Hugues !


CHAPITRE IX

LE HUITIÈME JOUR


Tous les deux jours, Roxane avait des nouvelles de chez elle, par le père Noé. Tout allait bien. Sans doute, Rita s’ennuyait un peu, beaucoup même de sa chère grande sœur, mais Mme Dussol et Lucie entouraient la petite infirme de soins affectueux, et constants, ainsi que de distractions de toutes sortes.

Mme Dussol ne parlait pas encore de revenir aux Peupliers ; en eut-elle parlé, que « cela aurait causé une vraie révolution aux Barrières-de-Péage » pour citer un des passages de la dernière lettre de Lucie à Roxane.

Lucie était toujours rieuse et gaie. Parfois, pourtant, en songeant à son fiancé, là-bas, sur l’Île Rita, des larmes coulaient sur ses joues ; mais, comme elle se livrait à ces pensées seulement que lorsqu’elle était seule dans sa chambre, le soir, sa tristesse passagère ne pouvait ennuyer celles avec qui elle vivait.

L’épidémie de fièvres typhoïdes ne diminuait pas ; au contraire ! Il y avait neuf malades à l’Hôpital Philibert maintenant : dont l’une : Angélique, servante aux Peupliers. Ce pauvre Justin était mort, et ce décès avait jeté une sorte de panique parmi le personnel des Peupliers. Pas seulement parmi le personnel cependant ; les maîtres, eux aussi étaient littéralement affolés de peur : Champvert pâlissait, quand il entendait parler d’un nouveau cas. Quand à Yseult, Roxane l’avait surprise mainte fois à pleurer, elle qui ne pleurait jamais. Quand Angélique avait été transportée à l’hôpital, Mme Champvert avait eu une crise de nerfs, durant laquelle elle répétait sans cesse :

— Nous allons tous y passer, tous, tous !

Le Docteur Philibert ne savait trop que faire, en face de l’épidémie ; il était seul, en fin de compte pour la combattre. En vain avait-il écrit à Lloydminster, à Fort Chipewyan, Alberta, à Régina même pour demander de l’aide ; ses appels étaient restés sans réponse. Sans Mlle Catherine, il eut été bien seul pour soigner ses malades. La figure joviale de « bon docteur » s’était peut-être un peu attristée ; cependant, il trouvait toujours quelques paroles consolantes pour tous.

Malgré le temps d’épreuves qu’on traversait, malgré le danger réel où étaient tous et chacun, et qui aurait dû inspirer un sentiment de tolérance et de charité universel, les époux Champvert continuaient à être à couteaux tirés. Plus d’une fois, Roxane les avait entendu se quereller, et toujours pour une question d’argent. Champvert, talonné par Henric Silverstien, faisait tout en son pouvoir afin de faire consentir sa femme à lui donner les vingt-mille dollars exigés par le juif pour le petit papier bleu ; mais Yseult restait sourde aux prières comme aux menaces de son mari ; de là des récriminations presque journalières. Inutile de dire que Roxane avait hâte de quitter cette maison et de retourner chez elle, aux Barrières-de-Péage, où régnaient tant de bonheur et de paix !

Silverstien ne s’ennuyait plus. Chaque soir, il rencontrait la douce Gretchen, dont il devenait de plus en plus amoureux à mesure que le temps s’écoulait. Quand il aurait vendu à Champvert le papier compromettant, il demanderait à Gretchen de l’épouser. Il la rendrait heureuse la charmante allemande. Elle était pauvre il le savait ; quel bonheur de pouvoir l’installer dans une confortable demeure cette dévouée Gretchen, l’aînée d’une nombreuse famille, l’esclave de ses petits frères et sœurs ! Pauvre Silverstien ! Pauvre petit juif ! On serait presque porté à le plaindre.

Roxane en avait assez, plus qu’assez du rôle qu’elle jouait auprès du juif. Combien elle avait hâte d’être rendue au dernier acte de cette tragi-comédie ! Ce papier bleu, si elle parvenait à s’en emparer, elle l’aurait bien gagné !

Souple-Échine, portier attitré des Peupliers maintenant, n’oubliait pas les dernières paroles du Docteur Philibert, lorsque celui-ci était allé le mener aux Peupliers.

— N’oublie pas, Souple-Échine, lui avait-il dit, que tu devras obéissance à « la belle dame » en premier lieu. Il y a deux papiers importants, dont elle veut s’emparer ; quand elle te dira : « J’ai besoin de toi », n’hésite pas un seul instant.

— Souple-Échine se souviendra ! avait répondu l’enfant.

Et l’heure était arrivée où Roxane allait avoir besoin de l’aide du jeune Sauvage ; car