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volver et le coup partit, enlevant la branche, sur son passage.

Une grande surprise se lisait sur le visage de Silverstien ; il se croyait, en quelque sorte, le jouet d’un rêve ou d’un cauchemar, dont il s’éveillerait bientôt.

Maintenant, M. Silverstien, reprit Roxane, veuillez retourner chez-vous, ou d’où vous venez, sans même tourner la tête. N’oubliez pas que jamais je ne manque l’objet visé avec ce petit jouet, ajouta-t-elle, en désignant le revolver, dont le canon était dirigé sur le juif.

— Le papier… Le papier… balbutia Silverstien.

— Le papier… Venez le chercher, si vous y tenez, cher Monsieur. Seulement, je vous en avertis, au premier mouvement que vous ferez vers moi, je tire !

Silverstien, toujours balbutiant : « Le papier… Le papier… » tourna sur ses talons et prit la direction des Peupliers. À un moment donné, cependant, il se retourna, et levant sa canne, comme pour attirer l’attention de la jeune fille, essaya de dire quelques mots. Mais sa canne lui fut enlevée de la main soudainement et elle alla tomber, un peu plus loin : Roxane avait tiré sur la canne et ne l’avait pas manquée.

Alors, le juif eut vraiment peur, et il partit à la course. Il arriva, hors d’haleine, chez les Champvert et monta dans sa chambre, dont il ferma la porte à double tour, puis il se livra à d’assez sombres réflexions.


CHAPITRE XI

NUIT ORAGEUSE


Le résultat des réflexions de Silverstien fut celui-ci : il quitterait les Peupliers, sans retard. Il avait été joué, roulé, volé ! Non qu’il doutât que Roxane ne fut une véritable Allemande ; mais il crut qu’elle s’était laissée tenter par l’appât du gain. À la vue du petit papier bleu, elle s’était dit, évidemment, qu’elle allait essayer de le vendre elle-même à Champvert.

Et Champvert ?… Quand il présenterait son chèque pour les vingt-mille dollars, que répondrait Silverstien ?… Que le papier bleu lui avait été enlevé ? La colère serait terrible, si terrible, que le petit juif se mit à frissonner soudain. Il le connaissait Champvert ; il l’avait vu à l’œuvre et il savait ce qu’il était capable de faire. N’avait-il pas été témoin, lui Silverstien, de l’horrible assassinat de l’auberge du Tigre-Rampant ? Oui, quand cet assassin saurait à quoi s’en tenir sur le sort du papier bleu, Silverstien comprenait que sa vie ne vaudrait pas cinq sous. Champvert irait l’attendre au coin d’un bois et il l’assassinerait sans pitié… La fuite… C’est dans la fuite qu’il trouverait la sûreté. Il quitterait les Peupliers, cette nuit même, et il irait si loin que Champvert ne pourrait l’atteindre jamais…

Cependant, avant de partir des environs, il chercherait Gretchen Henric, qui lui avait joué un si vilain tour, et quand il la retrouverait… Pourtant il était presque assuré d’avance que ses recherches seraient vaines ; elle avait dû se donner un faux nom cette jeune Allemande… quoiqu’elle lui eut dit se nommer Gretchen Henric bien avant de connaître l’existence du petit papier bleu, qu’elle lui avait volé…

Eh ! bien, concernant l’Allemande, il verrait ce qu’il ferait ; mais il était résolu de partir, de quitter les Peupliers, et aussitôt, il commença à faire ses préparatifs de départ.

Tout d’abord, Silverstien écrivit à Champvert quelques mots, qu’il laissa bien en évidence, lui disant qu’il serait absent pour deux ou trois semaines ; mais qu’au bout de ce temps, il reviendrait chercher les vingt-mille dollars, en échange desquels lui serait remis le papier compromettant.

La lettre écrite, il fit sa valise, n’oubliant pas d’y mettre deux boites de cigares appartenant à son hôte. Sa valise bouclée, il se rendit, à pas de loup, dans la bibliothèque, et s’approchant d’un petit cabinet, dont il ouvrit la porte, à l’aide de fausses clefs, il s’empara d’une liasse de billets de banque, qu’il mit dans sa poche ; ces billets de banque, le juif avait vu Mme Champvert les déposer là, la veille.

Revenu dans sa chambre, Silverstien s’installa dans un confortable fauteuil et s’amusa à fumer des cigares de Champvert et à compter l’argent qu’il venait de voler à Yseult, en attendant que tout fût endormi aux Peupliers ; alors, il s’en irait, et si loin, que… Décart ne le reverrait jamais.

Et pendant ce temps, Roxane, dans sa chambre, lisait une lettre du Docteur Philibert, que venait de lui remettre Souple-Échine :


« Chère Mlle Monthy,

« J’accuse réception du papier bleu, que Souple-Échine m’a fidèlement remis. Ce papier, je l’ai placé dans un compartiment secret de mon coffre-fort. Soyez assurée, chère enfant, que je vous admire, pour le succès que vous avez remporté ; aussi, je vous félicite de tout cœur !

Puissiez-vous avoir autant de succès en ce qui concerne le testament ! Soyez prudente ! Silverstien est un voyou, sans doute, un homme sans principes, etc ; mais Champvert est un assassin, et je crois réellement qu’il ne reculerait devant rien, s’il vous surprenait manipulant la serrure de son coffre-fort.

Dans tous les cas, je serai bien heureux de vous voir quitter les Peupliers, que contamine la présence de… Décart.

Je vous souhaite entière réussite et je vous recommande encore une fois, la prudence.

Vous renouvelant mes félicitations, je vous prie de me croire toujours,

Votre ami entièrement dévoué,
Napoléon Philibert

P. S. Suis arrêté chez-vous, ce p. m. Tous sont en bonne santé et de joyeuse humeur.

N. P. »