Page:Lacerte - Roxanne, 1924.djvu/64

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traîner vers la table à écrire. Impossible de se défendre : Champvert avait un poignet de fer ; ce n’est pas une délicate jeune fille qui eut pu lui résister. Quoiqu’elle eut sur elle un revolver, elle savait bien que cette arme à feu lui serait arrachée des mains et dirigée sur elle, si elle essayait de s’en servir.

Arrivé près de la table, le notaire n’éprouva pas beaucoup de difficulté à s’emparer du testament, dont la vue lui causa une réelle surprise.

— Ainsi, dit-il, ce n’est pas de l’argent que vous cherchiez dans mon coffre-fort, mais ce chiffon de papier. C’est assez singulier… Ah ! attendez donc…

D’un mouvement brusque, il enleva la perruque et les lunettes de Roxane.

Mlle Monthy ! s’écria-t-il. La fiancée de Hugues de Vilnoble !… Ainsi, depuis quelques semaines, vous jouez ici le rôle de ménagère, hein, dans le but de vous emparer de ce testament ?… Eh ! bien, chère Mlle Monthy, ce document, vous auriez mieux fait de le laisser où je l’avais mis, car, je vais vous donner le plaisir de le brûler en votre présence, immédiatement.

— Non ! Oh ! Non ! cria Roxane.

— Oui. Oh ! Oui, Mlle Monthy. Mais, auparavant, je vais vous garrotter avec de fortes ficelles ; ensuite, eh ! bien, je déciderai de votre sort… Tenez, pendant que je vous lierai les mains et les pieds, vous pourrez repaître vos yeux du testament, pour la dernière fois, puis nous ferons de ce chiffon un feu de joie.

Ce disant, Champvert déposa le testament sur sa table à écrire, puis, ouvrant un tiroir, il y prit un paquet de galon rose, le galon officiel des avocats et des notaires. Avec ce galon il attacha fermement les bras et les jambes de la jeune fille ; de cette manière, elle était incapable de faire le moindre mouvement.

— Vous voilà ficelée de la plus belle façon, Mlle Monthy, et vous n’êtes plus à craindre. Vraiment, j’admire mon travail ; il est véritablement artistique. Et Champvert dit méchamment. Maintenant, vous allez jouir d’un spectacle que vous n’oublierez jamais : la destruction du testament de M. de Vilnoble, en faveur de son fils Hugues, votre fiancé, Mlle Monthy ! Ha, ha, ha !

Toujours riant, le notaire s’approcha de la table pour y prendre le testament… le testament avait disparu !… Oui, il avait disparu !… Mais…comment avait-il pu disparaître ?… Champvert était bien seul dans son étude, avec Roxane, et celle-ci n’eut pu toucher au document, et pour cause : n’avait-il pas maintenu fortement la jeune fille d’une main, tandis qu’il la ficelait de l’autre ?… Alors ?…

— Le testament !… balbutia-t-il.

Il se mit à chercher parmi ses papiers et par terre ; même, il enleva le tapis de table, dont la frange traînait sur le plancher… Rien…

— Le testament… répéta-t-il. Je l’avais placé là… sur le bord de la table…

— Le testament a disparu, dites-vous, M. Champvert ? demanda Roxane. Alors, soyez-en assuré, c’est Yseult qui est venue le chercher.

— Yseult !… Mais, vous perdez la tête, Mlle Monthy ! exclama Champvert. Yseult est morte et…

— Souvenez-vous des dernières paroles qu’elle a prononcées, avant de mourir. « Le testament !… Hugues !… Pardon !… »

— Ah ! bah, dit le notaire, en haussant les épaules (Il ne croyait guère à l’intervention surnaturelle). Tout de même, c’est mystérieux la disparition du testament… Je ne puis comprendre…

Mais Roxane comprenait, elle ! Tandis que Champvert la garrottait, tout à l’heure, elle avait vu une petite main brune saisir le testament, puis le visage de Souple-Échine était apparu, un moment, entre les portières. Elle avait vu, ensuite le tapis de table remuer légèrement et elle comprit que le petit Sauvage rampait sous la table, dans l’intention d’atteindre la fenêtre, large ouverte. Entre la table et la fenêtre, la distance était de deux pieds, au plus ; tout de même, l’enfant serait obligé de se lever debout pour atteindre l’appui de la fenêtre… Le voilà Souple-Échine… Il vient de se lever… Roxane avait pâli… Si Champvert se retournait, il apercevrait le jeune Sauvage, et, devinant tout, bien sûr, il n’hésiterait pas à le tuer… Pourtant, le notaire était trop occupé à garrotter sa victime pour penser à autre chose. Souple-Échine, d’un bond, fut sur l’appui de la fenêtre, et en un clin d’œil, il avait sauté sur la terrasse, ses pieds nus ne faisant aucun bruit qui eut pu le trahir : Champvert avait été joué, roulé, par un enfant !

Hélas ! Roxane était en son pouvoir et sachant à qui elle avait affaire, elle aurait eu raison de trembler pour sa vie.

— Je sais bien que vous n’auriez pu toucher au testament, dit Champvert et je ne puis m’expliquer… C’est, je le répète, un mystère… Nous sommes seuls dans cette chambre, vous et moi, et cependant… Moi qui me proposais de vous régaler d’un petit feu de joie !

Roxane sourit.

— Vous souriez, Mlle Monthy ! Vous osez sourire !… Eh ! bien, vous allez le payer cher ce sourire, croyez-le ! Vous ne vous doutez guère du sort qui vous est réservé.

— Vous pouvez me tuer, je sais…

— Oui, et la justice ne m’inquiéterait pas pour cela ; chacun a le droit de défendre ses biens… Je vous ai surprise, dans mon étude, à… voler… D’ailleurs, une fois libre, vous parleriez. Je vous mettrai donc dans l’impossibilité de raconter à qui que ce soit de ce qui vient de se passer ou de parler de l’existence du testament de M. de Vilnoble.

— Allez-vous m’arracher la langue, M. Champvert ? demanda Roxane, d’un air moqueur.

— Non. Mais le sort que je vous réserve n’est pas un sort enviable. D’abord, je vais vous détacher les mains.

Il détacha la ficelle qu’il avait enroulée autour des mains et des poignets de la jeune fille, puis il dit, indiquant la table :