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— Juste Ciel ! fit Hugues. Roxane ! Roxane !

— Voici les faits, dit le médecin, et veuillez ne pas m’interrompre, car je perdrais le fil de mon récit. Mercredi dernier, vers les dix heures du soir, (il y a, comme vous voyez, cinq jours de cela) Souple-Échine, qui était entré comme portier aux Peupliers, mais qui, en réalité n’était là que pour obéir à Mlle Monthy, arrivait chez moi et me remettait le dernier testament de M. de Vilnoble. Pourtant, le petit Sauvage avait le visage triste, et je lui en demandai la cause. Il me répondit que Mlle Monthy avait été surprise par le notaire, au moment où elle venait d’enlever le testament du coffre-fort. Souple-Échine, fidèle à la promesse qu’il avait faite à la jeune fille, était venu m’apporter le document, dont il était parvenu à se saisir. Mais, je le répète, il avait vu Mlle Monthy garrottée et au pouvoir de Champvert… Ne n’interromps pas, Hugues !

« Immédiatement, je partis pour les Peupliers, continua le Docteur Philibert. J’entrai, sans me faire annoncer, vous le pensez bien. Nulle part, dans la maison, je ne trouvai ni Mlle Monthy, ni Champvert… Pénétrant enfin dans la chambre de Mme Louvier (c’est sous ce nom que ta fiancée était connue aux Peupliers, Hugues) je vis qu’il y régnait un grand désordre : les tiroirs, les garde-robes étaient ouverts, et, sur une table, je trouvai un billet, ainsi conçu :

« Je retourne aux Barrières-de-Péage.

ROXANE. »


— Que Dieu en soit béni ! s’exclama Hugues.

— Je connais très bien l’écriture de Mlle Monthy, et je savais qu’elle-même avait écrit ce billet. Comme toi, Hugues, il n’y a qu’un moment, je m’écriai : « Que Dieu en soit béni ! »

— Ma Roxane ! Quel danger elle avait couru !

— Je quittai la maison de ton père, reprit le médecin, en me disant que, le lendemain, j’irais, avec ma chère femme, aux Barrières-de-Péage. Mais, le lendemain matin, le jeudi, à sept heures, on vint me chercher pour une malade, demeurant à vingt-deux milles du Valgai, à l’ouest. Chez cette pauvre femme, je restai jusqu’au vendredi soir, après quoi, je revins, fourbu, chez moi.

« Le samedi, je ne quittai pas le Valgai car ma femme était indisposée. Ce n’est que le dimanche après-midi (hier) que je me rendis aux Barrières-de-Péage. Combien il me tardait de revoir Mlle Monthy, la chère, l’héroïque jeune fille !

« Aussitôt que Diavolo eut mis le pied sur le pont de péage, je vis accourir vers moi Mlle de St-Éloi et la petite Rita. Mes yeux cherchèrent, en vain, la gardienne des barrières, je ne l’aperçus pas. Cela ne me causa pas l’ombre d’une inquiétude pourtant ; elle pouvait être occupée à l’intérieur de la maison…

« Je descendis de cheval, continua le narrateur, et m’étant assis sur un banc, entre Mlle de St-Éloi et Rita, nous nous mîmes à causer, tous trois… Chose singulière, contrairement à ce qui arrivait généralement, nous ne mentionnâmes pas le nom de Mlle Monthy. Mais, tout à coup, Rita éclata en sanglots.

— Je m’ennuie de Roxane ! Je veux Roxane ! sanglota-t-elle. Oh ! pourquoi qu’elle ne revient pas Roxane, bon Docteur, le savez-vous ?

— Mon Dieu ! fit Hugues.

— Je faillis crier, acheva le Docteur Philibert. J’avais tant cru que Mlle Monthy était en sûreté chez elle !… Aussitôt que j’eus l’occasion de causer seul à seule avec Mlle de St-Éloi, je lui dis tout… tout ce qui concernait le testament et la disparition de Mlle Monthy, je veux dire, et ensemble, nous décidâmes que je viendrais vous chercher tous deux, afin que nous nous mettions tous à la recherche de la jeune fille si dévouée, qui avait risqué sa vie pour arriver à son noble but.

— Roxane ! Oh ! Ma Roxane ! sanglota Hugues. Quand je me dis qu’elle est au pouvoir de Champvert, de cet assassin !… Qu’est-elle devenue, mon Dieu !

— Ah ! Voilà la question : qu’est-elle devenue ?… Nous quitterons l’île au point du jour. Arrivés sur la terre ferme, nous y attendrons le retour de Champvert, car il faut que nous attendions son retour, avant de nous lancer à la recherche de Mlle Monthy, sans quoi, nous ne saurions pas dans quelle direction faire nos recherches.

— N’est-ce pas beaucoup de temps perdu, Docteur ? demanda Armand.

— Que veux-tu, mon garçon : il n’y a pas moyen de faire autrement. Des policiers sont postés sur les routes allant au nord, au sud, à l’est et à l’ouest. La maison de ton père, Hugues, est cernée. Aussitôt que… Décart mettra le pied aux Peupliers, il sera arrêté, et ensuite, nous partirons à la recherche de ta chère fiancée.

— Et que Dieu nous guide vers elle ! s’écria Hugues.

Cette prière termina la conversation, pour le moment.

Le lendemain matin, à six heures, l’Ouragan quittait l’Île Rita.


CHAPITRE XIX

CE QU’ÉTAIT DEVENUE ROXANE


Les chevaux, fouettés par Champvert, semblaient bien avoir le mors aux dents ; on eût dit qu’ils volaient sur la route. Combien de milles parcoururent-ils ainsi ? Il eût été difficile de préciser, mais, du train qu’on allait, on avait dû, une heure après avoir quitté les Peupliers, en être éloigné d’une quinzaine de milles.

Enfin, les chevaux, s’étant consultés entr’eux sans doute, résolurent de changer d’allure ; ils se mirent au galop, puis au trot.

Toute la nuit, la berline roula sur le chemin. Aussitôt qu’il fit jour, Champvert se mit à observer les alentours, et apercevant un bois très-touffu à sa droite, il y enfonça ses chevaux. Il détela les pauvres bêtes, dont les flancs étaient blancs d’écume et il leur mit des entraves aux pieds, après les avoir conduits à un endroit où poussait grande quantité de trèfle et de foin et où coulait un ruisseau.

Revenant à la berline, Champvert en retira