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le monde habité ?… Impossible ! Ces ruisseaux disparaissaient soudain, tombant, sans doute, dans des gouffres sans fond… Non, et dans les plaines de l’Alberta, la soif n’était pas à redouter ; mais la faim, l’horrible faim y guettait l’aventurier. Pour apaiser sa faim plus d’un pauvre malheureux avait mangé de ces petits fruits rouges, roses ou jaunes, qui croissaient sur les bords des ruisseaux… pour mourir, presqu’aussitôt, au milieu d’affreuses convulsions, car ces fruits, d’aspect si tentant, étaient du poison le plus vif.

Roxane, sachant toutes ces choses, et devinant, d’instinct, où elle était, eut une crise de découragement. Elle se laissa tomber sur des broussailles et éclata en sanglots. Mais, nous l’avons dit déjà, elle était très énergique ; bien vite, elle s’essuya les yeux et résolut d’examiner l’endroit où elle avait été abandonnée.

À sa droite, coulait un ruisseau, en face, était une crique, à sa gauche était une sorte de petit bocage, puis, à l’infini, des broussailles et du fin foin.

Soudain, une exclamation s’échappa des lèvres de la jeune fille : sur les bords de la crique, se dressait un arbre, et cet arbre était assez singulier car le tronc était totalement nu ; à son sommet seulement, deux branches s’étendaient, comme les bras d’une croix.

Un lierre sauvage avait grimpé autour du tronc de l’arbre, ses feuilles d’un vert tendre retombant le plus artistement imaginable sur les bras de la croix.

Roxane, les yeux fixés sur la croix, les mains croisées sur sa poitrine, étant dans l’admiration. Elle se sentit, tout à coup, plus rassurée, et son cœur fut inondé d’espérance, ou, décidément, elle ne se sentait plus aussi seule, aussi abandonnée sur les immenses plaines ! Cette croix serait son point de repère. Certes, elle ferait des efforts inouïs pour sortir de ces plaines ; mais, à chaque échec (et elle prévoyait qu’elle en aurait plus d’un) elle reviendrait en cet endroit où se dressait le signe de la Rédemption.

Détachant, à regret, ses yeux de la croix, Roxane alla chercher le petit bidon, contenant des provisions. Elle ne comprenait pas, cependant, pourquoi Champvert lui avait laissé de quoi se nourrir, pour au moins deux ou trois jours.

La première chose qu’elle vit, en enlevant le couvercle de la chaudière, ce fut un papier, sur lequel elle reconnut l’écriture du notaire, et la fiancée de Hugues lut ce qui suit :


« Chère Mlle Monthy,

Je vous laisse quelques provisions et aussi le petit bidon, au fond duquel il y a encore un quart de livre de thé. Les coyotes ne sont pas difficiles, il est vrai ; tout de même, ils préfèrent la viande fraîche et en bon point (embonpoint). Excusez ce mauvais jeu de mots, chère Mlle Monthy ; mais la situation est si comique qu’elle m’égaie : vous m’aviez tendu un piège et c’est vous qui y êtes prise !

IGNACE CHAMPVERT.
N. P.
Saskatchewan ».


Cette lettre n’eut pas sur Roxane l’effet visé par Champvert ; elle se contenta de hausser les épaules. Elle savait parfaitement d’ailleurs, dans quel danger elle se trouvait. Contre les coyotes, elle essayerait de se défendre ; son revolver était chargé à sept coups, et jamais elle ne manquait son but. En attendant, elle allait manger, car elle mourait de faim. Elle eut beaucoup désiré aussi se faire un peu de thé, mais elle se dit qu’elle serait bien contente de se confectionner de cette boisson, plus tard, quand elle aurait épuisé ses autres provisions. Faire du thé lui serait facile ; n’avait-elle pas sur elle, avec son canif et son revolver, une boîte d’allumettes ; celle qu’elle avait prise dans sa chambre, au moment de se rendre dans l’étude de Champvert, le soir de son enlèvement ?

Après avoir mangé et bu de l’eau claire du ruisseau, Roxane s’étendit au pied de la croix après avoir placé son revolver à portée de sa main, puis elle s’endormit profondément.


CHAPITRE XXII

INUTILES TENTATIVES


Le soleil lui frappant les yeux éveilla Roxane, le lendemain matin. Vite elle se leva, puis, après s’être lavé le visage et les mains à l’eau du ruisseau, elle déjeuna. Ses provisions ne dureraient pas bien longtemps ; ce soir, demain, il n’en resterait plus rien… Elle se dit qu’elle tendrait des collets, pour prendre du menu gibier ; de plus, elle allait immédiatement se fabriquer une ligne et elle ferait la pêche dans la crique. Il devait y avoir là du poisson ; à défaut de gibier, le poisson ferait très bien son affaire.

Elle se mit à l’œuvre tout de suite : attachant solidement du galon rose (ses ex-liens) à une perche assez longue, elle mit, à son extrémité, une épingle recourbée qu’elle piqua fermement au galon. Les épingles ne seraient pas faciles à remplacer ; elle en trouva cinq sur sa personne et elle résolut d’en prendre bien soin.

Le soir même, Roxane essaya l’effet de sa ligne de pêche. L’attente fut longue, mais enfin, un poisson d’assez forte taille fut pris ; elle l’apprêta et le fit bouillir au-dessus d’un feu clair. Les allumettes aussi, il fallait les ménager, car, qui sait pendant combien de temps durerait son exil ?…

Durant le jour, la jeune fille se construisit un abri. Malgré la couverture de voyage, elle avait eu froid, la nuit précédente. Oh ! si elle avait pu trouver une grotte ! Mais les grottes étaient rares sur ces vastes plaines. Elle se dirigea donc vers le petit bocage, qu’il y avait, non loin, et de ce massif de pins rabougris elle se construisit une demeure. Les arbres étant assez rapprochés, elle en réunit les faîtes, qu’elle attacha ensemble, formant ainsi un dôme au-dessus de sa tête ;