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vous demande en mariage ?

— Vous deviendrez ma femme, Lucie ? Nous nous marierons, en même temps que Hugues et Roxane, n’est-ce pas ?… Vous le savez, ils se marieront, aussitôt qu’ils seront réunis.

— Oui, nous nous marierons le même jour qu’eux et à la même messe ; nous aurons un mariage double, Armand… Et maintenant, retournons au Valgai ; Hugues serait en droit de nous en vouloir si, par notre faute, le départ était retardé même d’un quart d’heure. Allons !

— Lucie, me permettez-vous d’annoncer la grande, la belle, la douce nouvelle à ma mère ? Elle a tant souffert à cause de moi ! j’aimerais à l’associer à mon immense bonheur.

— Oui, Armand, vous pouvez annoncer la nouvelle à votre mère, avant votre départ, répondit Lucie.

Aussitôt arrivés dans le salon, Armand conduisit Lucie à Mme Philibert.

— Mère, dit-il, Lucie a promis de devenir ma femme.

Lucie s’agenouilla auprès de Mme Philibert et demanda :

— N’est-ce pas, Mme Philibert que vous m’aimerez un peu… à cause d’Armand ?

— À cause d’Armand, et à cause de vous Lucie, répondit, en pleurant de joie, Mme Philibert. Je n’aurais pu désirer avoir une fille qui me fût plus chère, et puisque vous voulez bien oublier que mon fils est pauvre…

— Chère… mère, dit Lucie en souriant à travers ses larmes, car elle ne pouvait être longtemps sérieuse la gaie enfant, je vais vous confier un secret… un grand secret…

— Un secret ! Qu’est-ce donc, ma chérie ?

— Voici, répondit la jeune fiancée, riant et rougissant : c’est moi qui ai demandé Armand en mariage.

— Voyons, ma chère fille ! s’écria Mme Philibert, riant à son tour. Je vois que vous ne pouvez être sérieuse longtemps, hein, petite imparfaite !

— Mais, c’est vrai, vous savez ! Demandez plutôt à Armand !

Armand ne fut pas dans l’embarras de répondre, car Hugues venait d’entrer, accompagné de Nestor.

On fut bientôt prêt à partir, et une véritable petite caravane allait quitter le Valgai, accompagnée des souhaits de bon voyage de Mme Philibert et de Lucie.

Célestin était allé sur l’Île Rita, l’avant-veille et il en avait ramené les deux chevaux, Bianco et Netta. Voici donc comment se composait la caravane : le Docteur Philibert venait le premier, monté sur Diavolo, puis venait Hugues, monté sur Bianco, puis Armand, monté sur Jupiter, Nestor, monté sur Mars. Mars, tout en étant un cheval de trait, faisait une excellente monture. Netta servait de monture à Souple-Échine. (Le petit Sauvage ne voulait plus quitter ’Tit maître d’une cheville, de plus, il avait tant insisté pour aller à la recherche de « la belle dame » qu’on aurait jamais eu le cœur de lui refuser). Souple-Échine était chargé de surveiller Vénus, l’autre cheval de trait, qui portait sur son dos les armes et les provisions de la caravane. Chacun était, en plus, armé d’un revolver à sept coups et d’un couteau à double tranchant.

Soudain, Mme Philibert et Lucie virent la petite caravane disparaître à l’un des détours du chemin, et toutes deux entrèrent à la maison, en priant tout bas pour le succès de l’expédition.


CHAPITRE XXIV

SIX JOURS DURANT


Nous avons laissé Roxane suivant le chien, qui semblait vouloir la conduire assez loin, dans la direction de l’ouest. Si, par moments, elle s’arrêtait, pour se reposer un peu, le chien revenait vers elle, il saisissait entre ses dents le bas de sa robe, comme pour l’entraîner.

Enfin, le hennissement d’un cheval parvint à ses oreilles, et aussitôt, elle aperçut une superbe bête, à la robe blanche, tachetée de brun, qui piochait le sol avec ardeur, et Roxane comprit qu’il devait souffrir de la soif.

À quelques pieds du cheval, un homme était étendu par terre ; il était enveloppé dans une couverture de brillantes couleurs. Qu’était-il arrivé ?…

Roxane s’approcha et elle vit que cet homme était un Sauvage ; quelque chef, à en juger par sa coiffure en plumes de diverses couleurs, à en juger aussi par les nombreux tatouages dont ses mains, ses bras et son visage étaient couverts. Il portait aussi, à son cou, à ses bras et à ses doigts grand nombre de colliers, bracelets et bagues.

Mais, encore une fois, qu’était-il arrivé ?… Le Sauvage n’avait aucune blessure… Était-il mort ?…

Roxane écarta la couverture et elle posa sa main sur la poitrine de l’inconnu : son cœur battait, quoique faiblement. Il fallait se hâter de lui prodiguer des soins !… Cependant, la présence de cet homme ne comporterait-il pas pour elle un réel danger ?… Ces Sauvages n’étaient pas toujours des compagnons bien désirables… Qu’importait !… Son devoir, c’était de lui sauver la vie, si possible… « Devoir », était un mot rempli de sens pour notre héroïne ; en y ajoutant la devise de sa famille : « Rien ne craint », peut-on s’étonner qu’elle se hâta de prodiguer des soins au Sauvage, afin de le tirer de son évanouissement ?

Quand l’inconnu ouvrit les yeux, il parut, assurément, fort surpris d’apercevoir, penchée sur lui, une jeune fille de grande beauté. Aussitôt, il lui parla, et, heureusement, Roxane comprenait et parlait quelque peu le dialecte de certaines tribus sauvages.

— D’où vient ma sœur au visage pâle ? demanda-t-il.

— Je viens de par là… répondit Roxane, en montrant la direction de la croix. Que t’est-il arrivé ?

— Je me suis égaré, répondit le Sauvage. Cœur-Transpercé est mon nom. Je suis chef de la tribu des Navajo.

— Une fière tribu ! s’écria Roxane. Et comment se fait-il que je t’aie trouvé ici, éva-