Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/46

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elle-même, n’accordera à une fille la faculté de devenir mère qu’après lui avoir donné la force d’en remplir les devoirs ; qu’on ne craigne pas de la voir, dans la forêt, comme dans nos villes, trahir quelquefois la tendresse d’une mère, en lui refusant le laict qu’elle destinoit à son enfant. Enfin, le moment arrive où l’enfant va cesser de l’être, où son existence, jusqu’icy concentrée, va se partager et se répandre au dehors. Déjà les formes s’arrondissent, la gorge croît sensiblement, les parties de la génération se resserrent et se couvrent d’un poil naissant. Souvent, jusqu’à ce jour, dans une société de chasse, ou dans quelque autre occasion, notre jeune fille s’étoit trouvée parmi des hommes[1], sans inspirer, ny éprouver aucune sensation ; un nouveau hasard l’y ramène ; mais à peine a-t-elle touché la main de l’un d’eux, qu’un doux frémissement se répand dans tout son corps ; sa main se retire ; involontairement elle rougit, non de pudeur, mais de trouble ; elle désire, mais elle craint de s’approcher encore ; ce sentiment inconnu va l’occuper tout entière. Déjà elle cherche la solitude ; là elle se replie en quelque sorte sur elle-même, pour la 1re fois elle va s’occuper de ses pensées ; le morne ennui, la vague inquiétude la tourmentent tour à tour ; un léger engourdissement dans les aines, une sensibilité presque

  1. Supposons cette association momentanée ; ce n’est pas tomber dans la faute, si souvent commise, de transporter à l’état de nature un fait qui ne convient qu’à l’état de société. On en trouve plusieurs exemples parmi les animaux chasseurs et pourtant solitaires.
    Note de Ch. de L.