Page:Laclos - De l’éducation des femmes, éd. Champion, 1903.djvu/59

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gination sera moins prompte que le zèle de ses courtisans ; mais par là même ses jouissances seront imparfaites ; malheureuse elle n’aura pas le temps de désirer. Cependant, sous un règne foible, l’intrigue déploïe touttes ses forces ; le courtisan ambitieux, non content d’opprimer le peuple, veut encore dominer sa souveraine ; maîtresse de tant d’états, elle ne l’est pas de sa volonté ; müe par des ressorts secrets, elle cède à une impulsion étrangère et inconnue ; elle ordonne par faiblesse l’éloignement de ceux qu’elle chérit et reste avec étonnement livrée à ceux qu’elle craint, alors elle perd l’habitude d’aimer ; la défiance et l’insensibilité viennent flétrir et resserrer son âme ; bientôt elle ne s’ouvre plus au plaisir ; elle n’est plus susceptible que de distraction, et les distractions mêmes sont devenües difficiles ; son palais l’ennuie, et toutefois elle craint d’en sortir ; traverse t’elle les villes ? le silence morne de son peuple contriste son cœur ; parcourt-elle les campagnes ? l’image de la misère afflige ses regards importuns et, elle-même, elle se prend aux lieux qu’elle habite de l’ennui qu’elle y porte ; elle se fuit, elle erre, sans choix comme sans dessein, elle recherche la vaste solitude des forêts, laissons-lui cette triste ressource : les seuls moments où elle se supporte sont ceux où elle parvient à s’oublier. Quelle autre femme se présente, dont l’éclat surpasse encore celui des reines ? A sa beauté parfaite, à son air enchanteur, à son magique pouvoir, on la prendroit pour une fée ; environnée d’une cour nombreuse, dont elle règle le destin, elle