Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/77

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pleurant ainsi que vous et tremblant de vous voir tomber dans l’eau noire du fleuve, qui grondait à vos pieds. Enfin, après de longues heures, qui me semblaient des éternités, le jour parut, et c’est moi qui vous servais de guide, car vous étiez devenue aveugle, comme vous l’êtes encore !


— Oui, aveugle, aveugle pour toujours ! s’écria madame Neveu, avec un accent lamentable. Il y a dix ans que je ne t’ai vue, ma pauvre Catherine, mais du moins ton image est empreinte dans ma mémoire, et je puis te voir encore avec les yeux de l’âme. Il me semble même que je te vois réellement, quand je t’entends parler, quand je te serre dans mes bras, quand je te sens à mes côtés… C’est pourtant bien affreux de vivre ainsi dans des ténèbres éternelles ! C’est affreux de penser que si mon fils venait tout à coup à reparaître, je ne le verrais pas !


— Je donnerais ma vie pour vous le rendre ! repartit tristement Catherine. Vous êtes si malheureuse de sa perte, que je voudrais être morte à sa place.


— Ô ma fille, tu ne sais pas ce que c’est qu’un cœur de mère ! Il me faut mes deux enfants, puisque le ciel me les avait donnés ! Pourquoi m’en a-t-il ôté un ? Est-ce que celui qui me reste peut me faire oublier celui que j’ai perdu ? Crois-tu donc que je te chérirais moins, si j’avais mes deux enfants ? Ne les aimais-je pas autant l’un et l’autre ?… Voilà ce que je disais à Dieu dans mon rêve, et Dieu m’avait si bien comprise, qu’il faisait droit à mes plaintes, à ma prière, et qu’il finissait par me rendre mon fils ! Mais, hélas ! ce n’était qu’un rêve ! Et ce rêve n’est plus même qu’un souvenir qui est déjà presque effacé !…