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Page:Lacroix - Le Docteur Gilbert, 1845.djvu/29

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le docteur gilbert.

nière de se coiffer à la fois simple et coquette, sa mise pleine d’élégance et brillante sans mauvais goût, sa démarche noble et gracieuse, tout, jusqu’aux mouvemens arrondis et moelleux de ses bras, aux ondulations de sa tête, tout révélait en elle ou l’artiste ou la courtisane.

Enfin, après avoir traversé bien des fois toute la longueur de son appartement, faisant des reproches à l’un, des complimens à l’autre, et donnant partout des ordres, elle se laissa tomber sur un sopha en soupirant comme une personne accablée de fatigue ; puis, déployant un éventail, elle l’agita en fermant les yeux.

— Madame, vous êtes servie, dit une jeune fille en entrant dans le salon.

— Je n’ai pas faim, Maria, répondit Victorine avec un léger bâillement qui laissa voir des dents éblouissantes ; je suis d’une lassitude horrible !

— Je le crois bien, madame ; depuis trois ou quatre jours vous ne dormez plus, vous êtes toujours en mouvement !… ce bal vous a coûté bien de la peine ! Quand on pense que la semaine dernière vous ne songiez encore à rien,

— Oui, n’est-ce pas ? dit Victorine avec un sourire de satisfaction, je suis une femme expéditive ; et quand une fois j’ai un projet dans la tête, je ne dors pas qu’il ne soit exécuté.

Et sa jolie bouche s’entr’ouvrit une seconde fois pour bâiller ; ses yeux s’appesantirent et se fermèrent un instant.

— Vous tombez de sommeil et de lassitude, madame, reprit la femme de chambre, et, si j’ai un conseil à vous donner, c’est de dormir une heure ou deux sur ce canapé ; vous avez encore le temps ; les ouvriers ont presque fini, et vous ne serez pas dérangée.

— Non, Maria, non, je dormirai un autre jour, répondit Victorine en s’efforçant de tenir ses yeux ouverts ; je suis un peu fatiguée, mais la valse et le galop me remettront. Tu sais bien que je resterais une semaine de suite au bal sans éprouver le besoin du sommeil… Néanmoins, comme je ne danse pas encore maintenant, et que j’ai les yeux un peu lourds, viens t’asseoir à côté de moi et bavarder, pour m’empêcher de m’endormir ; car, vois-tu, j’attends quelqu’un.

Maria, qui trouvait la proposition fort de son goût, se hâta d’obéir ; die prit une chaise et s’assit en face de sa maîtresse.

Les ouvriers venaient de quitter la chambre où se trouvait madame Villemont : elle était seule avec Maria.

— Eh bien ! qu’en dis-tu, Maria ? dit madame Villemont avec une expression de joie et d’orgueil dans le regard, trouves-tu mon appartement bien décoré ?

— Admirable ! madame, je n’ai jamais rien vu d’aussi beau ! c’est au point que je suis tout éblouie. Mais je suis effrayée, quand je pense à tout l’argent que vous allez dépenser ce soir.

— Eh ! que m’importe, répondit Victorine avec indifférence, M. Villemont n’a-t-il pas le moyen de payer tout cela ?

— Oh ! sans doute, madame, c’est un véritable Crésus ! mais vous savez que les plus riches ne sont pas toujours les plus généreux… et ce pauvre M. Dubreuil, qui est pauvre maintenant comme Job…

— Bon, bon, bon, interrompit Victorine avec un geste d’impatience, ne me parle plus de lui ; son nom me bourdonne sans cesse à l’oreille comme une mouche taquine !… tâche de ne plus le prononcer. Que veux-tu que j’y fasse, il est ruiné, et je ne peux pas vivre de l’air du temps !

— C’est la vérité pure, madame ; aussi je ne vous blâme pas, répartit la jeune fille en soupirant ; je sais très bien qu’il faut qu’un homme soit riche !… Mais avouez que c’est dommage ; car ce pauvre monsieur était si doux !… si joli homme !…

— Bah ! je ne l’ai jamais aimé ! répondit Victorine en agitant son éventail autour de sa tête… D’ailleurs, il n’avait pas le moyen de me rendre